L’histoire de quelques membres de la famille Leg’s Go

LucManonFlorentFlorentinLauraIslamDylanHenryJasonSophieSonnyMaximeFabienne

LUC

La vie réserve parfois bien des surprises… j’avais envie de vous raconter celles qui ont jonché mon existence.
Je suis Luc, j’ai 51 ans. J’ai vécu une enfance heureuse, dorée même, entre deux parents qui  avaient fondé leur entreprise et une sœur avec qui je me suis toujours bien entendu.
Evoluant dans ce monde de l’entreprenariat, j’ai, dès la fin de mes études, repris le flambeau et créé à mon tour ma propre affaire dans le domaine de la construction. J’ai travaillé, beaucoup, énormément même… J’ai remporté de beaux succès, connu des moments de stress face à des clients difficiles à satisfaire. J’ai gagné pas mal d’argent, “à la sueur de mon front” comme on dit. J’ai connu la fierté de me faire un nom dans un domaine où la compétition est un art de vivre.
Le souci, quand on vit de cette façon, est que l’on ne sait plus savourer ce que l’on a, il faut toujours plus : plus de marchés remportés, plus d’argent, plus d’employés, plus de succès… et dès lors, on a de moins en moins de temps, pour soi, pour les autres, pour se faire du bien. On avance, avec des œillères, tout droit, toujours tout droit,  et sans prêter la moindre attention au temps qui passe…
Et on court, on galope même, il faut être le premier, c’est la règle !
Et de préoccupations en stratégies commerciales, de stress en ruminations, je me suis retrouvé, un jour de mai, sur cette route qui devait me mener à un des chantiers que j’avais à surveiller.
C’était sans compter ces fameuses surprises que la vie parfois nous réserve, comme je vous le disais.
Une jolie route dans les environs de Dinant. Un tournant, un peu serré d’accord, mais juste un tournant… Et puis un arbre. Et puis un choc, un choc terrible. Et puis… plus rien… Juste une musique qui me semblait si forte, si bruyante…. C’est quoi cette musique ? Il m’a fallut quelques minutes pour me rendre compte que c’était celle qui sortait de ma radio, là, à quelques centimètres de moi. Je voulais arrêter cette musique, c’était ma priorité du moment… mais mon bras n’atteignait pas le bouton stop. J’ai compris que je me trouvais en fait à l’extérieur de ma jeep : j’avais été éjecté par la fenêtre, j’étais coincé sous ma voiture, qui, sous le choc, était retombée sur moi. J’aurais voulu bouger mais cette masse de tôles était si lourde… et puis j’ai vu qu’une branche sortait de ma jambe… j’ai appris quelques jours plus tard qu’il s’agissait en fait de mon fémur…
Les secours sont rapidement arrivés, on m’a réconforté, on m’a dit “ça va aller, Monsieur, restez avec nous” et moi, tout ce que je voulais, c’est qu’ils arrêtent cette musique !
Et puis il y a eu l’hôpital, toutes ces broches, ces bandages… et cette terrible douleur, cette indescriptible souffrance à la jambe droite. Je cherche les mots pour vous la décrire, et je n’en trouve qu’un : torture… Et cette étrange sensation que quelque chose de grave se passait sous ce plâtre fermé, cette impression que ma jambe allait exploser… C’était presque le cas. On m’avait plâtré sur une fracture ouverte, ma jambe se nécrosait. Au bout de quelques jours, et un transfert dans un hôpital universitaire obtenu grâce à l’intervention de mon beau-frère médecin, le verdict est tombé : gangrène, staphylocoques, infection qui se généralisait. Les médecins n’ont eu d’autre choix que de me couper la jambe droite, sans quoi je ne passerais pas la nuit.
Souffrant d’un œdème pulmonaire, pratiquement dans le coma, je n’ai pas compris ce qui s’est passé… On m’a raconté ces moments d’angoisse pour ma famille, cette épouvante que mes parents ont ressentie quand ce terrible mot « amputation » a été prononcé. Maman n’a plus jamais versé une larme depuis…
S’éveiller dans un lit d’hôpital avec à la place d’un membre un grand vide, c’est un choc, c’est un séisme même… C’est… déstructurant. Ce corps qui était le mien depuis 36 ans était devenu autre, et je ne savais pas comment j’allais pouvoir sans ce morceau de moi…
27 fractures, un bras presque arraché, une jambe coupée, j’étais considéré comme un miraculé. Tout le monde voulait me voir, ma chambre ne désemplissait pas, pensez donc : j’ai reçu jusqu’à 40 visites sur la même journée… Durant deux, trois semaines… au bout d’un mois et jusqu’à la fin de mon hospitalisation je n’ai plus vu que ma famille, mes proches qui m’ont porté à bout de bras.
Grâce à leur amour sans faille, grâce à la bienveillance et au professionnalisme des médecins, des infirmiers, des kinés et de tous ceux qui se sont occupés de moi durant mes dix-huit mois d’hôpital et de revalidation… et bien j’ai survécu. Malgré mes 19 opérations, mes plus de  400 points de suture, je me suis relevé, au propre, comme au figuré. De petits pas en petits pas, j’ai appris à marcher avec une prothèse, une “jambe de substitution”.  Quelle victoire le jour où j’ai pu sortir de mon fauteuil roulant pour faire ma première balade à la verticale !
J’étais un patient modèle, j’avais confiance ! Je m’appliquais à suivre tous les conseils du corps médical, et, pour me remuscler, je me suis remis à la natation, sport que j’avais pratiqué à un haut niveau quand j’étais un petit garçon, et j’y ai repris goût.

Un an et demi d’hôpital, ça vous change une vie. Ca change vos repères, et puis, ça provoque des dommages « collatéraux ». J’y ai laissé mon entreprise… De patron “overbooké” comme on dit je suis devenu une “personne à mobilité réduite” sans boulot. Ma maison n’était pas appropriée pour cette nouvelle condition. Je me suis retrouvé à terre à plusieurs reprises, ma prothèse en bas de l’escalier en colimaçon et moi accroché à la rampe… L’univers que j’avais toujours connu n’était pas adapté à l’homme que j’étais devenu. En fait la vie que j’avais vécue durant 36 années n’était plus celle que j’allais pouvoir vivre, dorénavant…
J’ai sombré, j’ai coulé… Je ne savais plus quoi faire, on ne construit pas sa vie en pensant à un plan B si “ça” nous arrive, si tout est chamboulé par un accident, par une maladie, par un traumatisme, par un handicap…
De « quelques » verres pour oublier en somnifères pour occulter, je suis devenu dépendant à ces substances qui me sortaient de ce qui me semblait être un cauchemar : j’allais me réveiller, hein, tout allait redevenir comme avant, quand tout était facile… Et ça ne s’arrêtait pas, tout était effort, tout était à revoir… deux années très très dure, pour moi et pour mes proches qui me voyaient me noyer.
Et puis il y a eu un « sursaut », une prise de conscience : je ne pouvais pas, je ne voulais pas rester dans le fond, non, pas question !  Et là, j’ai compris que j’avais en moi des ressources insoupçonnées, celles qui m’ont permis de donner le coup de talon qui m’a ramené à la surface !
J’ai cherché et retrouvé du travail. J’ai rencontré l’amour de ma vie, je me suis même marié, moi qui ne l’avais jamais été ! Et puis j’ai continué le sport avec ma sœur. Et un soir, en devant le sport à la télé, j’ai découvert un truc incroyable : un gars, amputé des deux jambes, qui parvenait à courir avec des prothèses adaptées ! Je vous garantis que pour quelqu’un qui a cru ne jamais remarcher, courir, c’est du domaine de la magie ! Je voulais essayer, je voulais me prouver que j’étais capable de courir, avec une seule jambe ! J’ai sacrifié une partie de mes économies pour acheter une lame en carbone ! Ca a été dur, très dur, un travail acharné pour parvenir à apprivoiser cette prothèse, pour supporter les chutes, les blessures des premiers temps. Et puis j’y suis arrivé ! Courir avec mon épouse, avec des amis, ça, ça a été une vraie révélation… J’ai testé le vélo, sur une jambe d’abord et puis avec une prothèse… J’étais déjà bon nageur, j’avais donc les clés en main pour me lancer dans la pratique du triathlon !
Le soutien du public, la force de ses encouragements me porte, me transporte même.

Et malgré toutes ces occupations et la jolie vie que je m’étais aménagée, il me manquait un « ptit quelque chose » : j’avais envie, besoin même d’aider ceux qui avaient vécu le même drame que moi. C’est si cher, ces prothèses de course, et aucune aide financière n’est possible !
J’ai fondé Leg’s Go. J’ai pu m’entourer de fabuleuses personnes et ensemble nous aidons d’autres amputés à “remonter la pente”, et en courant, s’il vous plait !
Dans ma nouvelle existence, j’ai compris une chose : il y a toujours plus malheureux que soi… J’ai perdu une jambe, la belle affaire. Cela ne m’empêche pas d’avancer, d’avancer vite même, et cela m’a permis d’avoir envie de faire du bien, à ceux qui souffrent, souvent bien plus que moi !
Comme je vous l’ai dit, la vie réserve parfois bien des surprises… Je ne peux pas finir ce texte sans vous dire que, même si cet accident a été une épreuve douloureuse; il m’a sans doute ouvert les yeux sur ce qu’est la vraie vie : une chose merveilleuse, éphémère, dont il faut profiter à chaque instant… Je suis heureux, comme je ne l’ai jamais été !

MANON

05 juin 1999, je suis Manon et je vais naître aujourd’hui.
C’est trop tôt : trois semaines trop tôt. On dirait bien que je suis pressée de rencontrer mes parents et mon grand frère, Aymeric. Ils ne savent pas si je suis une fille ou un garçon mais maman en est sûre : elle mettra au monde une petite fille, elle le sent, elle le sait !
Nous voici en salle d’accouchement. Papa est en effervescence ! Il voit le médecin s’affairer : je me présente « en siège ». La sage-femme prépare la petite couverture dans laquelle elle m’accueillera : mon arrivée dans ce monde est imminente.
Rapidement, Papa comprend que quelque chose ne va pas. Le personnel médical s’agite, il lit l’inquiétude sur leur visage, surprend des regards échangés…
Très vite, on m’emmène dans la salle des prématurés en expliquant que je fais moins de deux kilos et qu’il faut s’occuper de moi.
Maman, elle, est livide, très pâle, trop pâle. On se rend vite compte qu’elle ne va pas bien du tout : une grosse hémorragie met sa vie en danger. Elle est emmenée en urgence : la situation est dramatique, papa est affolé.
De mon côté, je suis placée sous haute surveillance. Toute petite, si fragile. Jolie poupée, un « bébé plume ».
Sept médecins s’affairent autour de moi, ça inquiète Papa. Il essaie de comprendre ce qu’il se passe : quels sont ces mots compliqués ? Pourquoi autant de monde ? Il arrive à peine
à me voir derrière ce mur de blouses blanches. 
A un moment, il saisit un mot, un terrible mot : amputation.
Les médecins se tournent vers lui et lui annoncent une terrible nouvelle : je suis née avec un gros souci à la jambe droite. Mon père se précipite. Il retire le drap qui me recouvre et aperçoit une toute petite jambe, une petite patte de moineau, un petit membre inerte et presque noir. Il est catastrophé, et les médecins n’ont pas l’air plus rassurés que lui. 
Bride amniotique longitudinale, c’est le nom barbare de ce qui a provoqué mon handicap. Dans le ventre de Maman, j’étais prisonnière de véritables cordes qui ont empêché ma jambe de se développer et l’ont nécrosée.
Pendant que Papa pose mille questions aux spécialistes qui m’entourent, un vrai miracle se produit : ma jambe bouge, elle rosit. Branle-bas de combat : ce mouvement et cette coloration signifient que ma jambe est vascularisée, lui dit-on. Du coup, il est possible que l’on puisse éviter de m’amputer. L’espoir est permis.
Après plusieurs semaines d’hospitalisation, je rentre à la maison et un vrai parcours du combattant débute.
Jusqu’en 2011, j’ai subi onze opérations censées me permettre de conserver mon « petit pied » comme je prendrai l’habitude de l’appeler.
Le gros danger provient du fait que je n’ai aucune sensibilité au niveau de ce pied : je peux marcher sur un jouet appartenant à un de mes frères (ils sont deux car Romain est
venu agrandir la famille en 2002) sans ressentir la moindre douleur. 
Lorsque cela se produit, mes parents repèrent des traces de sang sur le sol et doivent vite me soigner et éviter le pire : l’infection. Il est même arrivé qu’en hiver ma jambe gèle ! Je ne sens rien, rien du tout. Je souffre de plaies incessantes qui nécessitent de longs séjours à l’hôpital. 
Pour moi, ce n’est pas si grave : c’est mon quotidien, je n’ai jamais rien vécu d’autre.
Pour mes parents, c’est tout autre chose. Ils sont rongés par une inquiétude sans fin, ils vivent avec la “boule au ventre”, ils ont tellement peur que je souffre. Maman, qui a appris à
faire mes pansements lorsque je suis blessée voit bien que mon petit pied est de plus en plus abîmé : il arrive qu’on en voie l’os.
Notre vie est rythmée par les visites médicales, les traitements de kiné, les opérations…
Le temps passe et j’arrive à bien me déplacer malgré le fait que mes deux jambes sont loin d’avoir la même longueur. On épaissit la semelle de ma chaussure droite pour compenser les 7 cm de différence.
Je développe un caractère fort, je veux tout faire toute seule. A l’école, je me déplace en chaise roulante et avec mes copains on s’amuse à faire la course. A la maison, je fais tout
toute seule, je monte les escaliers assise, je n’accepte aucune aide ! Je suis heureuse ! Ah si seulement il n’y avait pas toutes ces plaies qui m’empêchent de vivre sereinement ma vie de
petite fille !
Je suis régulièrement empêchée d’aller à l’école à cause de ça. Heureusement, l’association “École à domicile” existe et de gentilles personnes viennent me donner cours à la maison.
Grâce à elles, je réussirai mon CEB brillamment ! Mon petit pied ne guérit jamais complètement. 
En 2006, j’ai 7 ans. Nous rencontrons le Docteur Alain Carlier au CHU de Liège, cette rencontre est sans doute l’une des plus importantes de toute ma jeune vie. Ce médecin va révolutionner mon existence et celle de ma famille. Très vite, avec honnêteté et bienveillance, il explique à mes parents que la médecine est impuissante face à la pathologie dont je souffre. On appelle ça « pied du diabétique ». Il joue carte sur table : la meilleure solution serait de m’amputer.
Le Docteur Carlier conseille à mes parents de ne pas prendre « La » décision pour moi. Il sait par expérience qu’il est indispensable que, malgré mon jeune âge, je sois prête à vivre cet immense changement de vie. Mais moi, je ne veux pas de cette opération, je veux garder mon petit pied, il fait partie de moi, j’ai appris à vivre avec lui.
Pour nous permettre d’avoir les informations les plus complètes, le Docteur Carlier nous conseille de nous rendre à Paris dans une clinique spécialisée.
D’accord, nous irons là-bas, mais pas sans en profiter un maximum. De cette visite dont l’objectif est loin d’être amusant, Papa et Maman décident d’en faire une fête.
En mai 2008, nous filons tous les cinq vers la capitale française et passons quatre jours de rêves entre visites culturelles et moments de détente.
Mais lorsque nous franchissons la porte d’entrée de l’hôpital, je refuse d’être confrontée aux prothèses exposées, les regarder m’effraie … Cependant, les spécialistes parisiens confirment le diagnostic du Docteur Carlier : un jour où l’autre, il faudra m’amputer.
Et notre vie continue, avec ses grands moments de joie et ses immenses instants d’inquiétude suite à mes blessures.
En 2010, Maman nous annonce une jolie surprise : elle va donner naissance à une deuxième petite fille. Deux garçons, deux filles : quelle merveilleuse famille nous allons former.
Nous sommes impatients d’accueillir Louise. C’est alors que le malheur nous frappe à nouveau de plein fouet. Nous sommes privés de la joie de connaître cette petite fille. Louise s’en va jouer là-haut dans le ciel. Nous lui avions fait une place, et elle l’a toujours aujourd’hui. Souvent, en famille, nous allons lui rendre visite là où elle dort, pas très loin de chez nous, et nous lui racontons tout ce qui se passe au sein de notre clan. Louise, même si elle n’a jamais pu s’asseoir à notre table, fait entièrement partie de notre famille. Aymeric s’est même fait tatouer une petite étoile sur le bras, ainsi, notre petite sœur ne le quitte jamais.
Un matin de 2011, après une nuit à réfléchir du haut de mes 12 ans, je rejoins Maman dans la salle de bain. Je lui dis “Maman, j’en ai marre de ces opérations, je suis fatiguée, je veux qu’on m’enlève mon « petit pied ». Maman me prend dans ses bras et ensemble, nous allons trouver Papa pour lui annoncer ma décision.
Sous le choc de cette annonce brutale, mes parents appellent le Docteur Carlier. Calmement, ce dernier leur demande de le rappeler un mois plus tard, afin qu’il soit assuré que ma
décision est définitive. Après ces trente jours de réflexion, je dis à mes parents que je n’ai pas changé d’avis.
A partir de ce moment, il faut attendre qu’une date soit fixée. Cinq mois durant, nous sursautons à chaque sonnerie de téléphone. Et puis, une après-midi, l’hôpital
appelle et annonce que je serais opérée le 17 février 2012.
Quelques jours plus tard, Papa commence à se sentir fébrile. Il n’est plus capable de sortir du lit. Au bout de plusieurs jours difficiles, le verdict tombe : Papa souffre d’une méningite.
A quelques semaines de mon opération, il est admis en urgence à l’hôpital. Après un lourd traitement, Papa guérit mais doit subir une longue revalidation venant rajouter de l’angoisse à une situation déjà tellement préoccupante, quelle période compliquée !
Et puis le 17 février arrive… La veille, nous sommes tous les cinq dans la chambre dans laquelle je me réveillerai le lendemain amputée d’une partie de ma jambe.
Mes parents, mes frères et moi rendons alors hommage à ce petit pied qui a rythmé notre vie douze ans durant en y écrivant dessus des messages d’adieu.
Le lendemain je suis opérée et, lorsque je m’éveille après l’intervention, j’ai une idée fixe : je veux savoir ce qu’on a fait de mon petit pied. J’aimerais le récupérer, je voudrais le reprendre à la maison pour l’enterrer au jardin, avec les petits chats perdus au cours de mes années d’existence. Le Docteur Carlier m’écoute et gentiment, parvient à me faire comprendre qu’il faut que j’accepte de vraiment me séparer de ce morceau de jambe qui a été à l’origine de tellement de souffrance. Au fond de moi, je sais qu’il a raison et je quitte
l’hôpital en laissant derrière moi une partie de ma vie pour commencer à en écrire un nouveau chapitre.
Deux mois plus tard, je reçois ma première prothèse. Pour moi, c’est comme une renaissance. Finies, les chaussures “adaptées”, les blessures, les séjours hospitaliers, les
séances de pansements… Les personnes qui ne sont pas au courant de mon handicap n’y voient que du feu : je suis devenue comme les autres, comme toutes les filles de mon âge. Je porte une prothèse esthétique qui laisse à croire qu’il s’agit d’une “vraie jambe”.
Après ma lourde décision, je suis convaincue que je vais être enfin  »tranquille » et débarrassée de toute souffrance. Cependant, le fait que je suis en pleine croissance nécessite de nombreuses adaptations au niveau de ma prothèse. Mon moral est parfois au plus bas, je suis si déçue ! Les « blouses blanches » réapparaissent dans ma vie. Durant six mois je dois à nouveau arrêter de fréquenter l’école, je ne peux pratiquement pas sortir, voir mes amis… Heureusement, ma croissance se termine et les choses vont de mieux en mieux ! 
En mars 2018, mes parents croisent Luc, qui a créé l’ASBL Leg’s Go. Nous avions rencontré Luc quelques années auparavant en participant à des réunions de l’association Amptraide où nous avions pu discuter avec des personnes ayant vécu une amputation. Luc propose que j’essaie une prothèse en carbone qui me permettrait de courir, ce que je n’ai jamais fait !
J’ai envie d’essayer et j’enfile ce drôle de matériel. Nous partons faire une balade en famille. Papa me filme. Quand je visionne les images, j’ai une révélation : cette prothèse est belle, je trouve qu’elle me va bien et je sens qu’elle me procurera beaucoup de bien être ! 
Au même moment, je découvre sur Internet 
, jeune mannequin amputée et tellement jolie. Je suis “scotchée” ! Cette découverte coïncide avec l’acquisition de ma nouvelle prothèse de marche. Avant de la faire recouvrir de l’esthétique qui lui donnera l’apparence d’une jambe, je demande à papa et à mes 2 frères de me photographier quand je la porte, alors qu’elle est juste composée d’un tube métallique. En voyant la photo, j’aime mon image et, alors que j’ai l’habitude de cacher mon handicap, je publie cette photo sur un réseau social. Mes parents et mes frères sont sidérés et tellement heureux : pour eux, le fait d’accepter mon image sans “fard” marque le début d’une nouvelle vie, une vie où
je vais peut-être prendre conscience que ma différence peut représenter un atout.
Je sens que les choses bougent, qu’un nouvel univers s’ouvre à moi. 
Je m’appelle Manon, je vais avoir 19 ans … j’ai toute la vie devant moi !
Je suis amputée, et alors ?
Je terminerai par cette citation de Martin Luther King qui ne m’a jamais semblé aussi vrai qu’à ce jour : Si tu ne peux pas voler, alors cours. Si tu ne peux pas courir, alors marche. Si tu ne peux pas marcher, alors rampe, mais quoi que tu fasses, tu dois continuer à avancer ! 

FLORENT

Parfois, un homme et une femme se rencontrent et, dès les premiers instants, leur histoire d’amour devient une évidence.
C’est ce qui s’est passé pour Laetitia et Florent. En 2012, après quelques phrases échangées, chacun assis devant son écran, leur envie de se rencontrer est irrépressible. Et ce n’est pas les 200 km qui séparent leurs domiciles qui vont les en empêcher ! En se retrouvant à Bruxelles, pour leur premier rendez-vous, ce qu’ils ressentent l’un pour l’autre ne fait aucun doute : ils sont des âmes sœurs. Ça peut sembler fou à leur entourage, mais c’est comme cela, ils ne pourront plus vivre l’un sans l’autre.
Florent vit et travaille en France et, lorsque son contrat se termine, il décide de s’expatrier au pays de sa belle. Le quotidien est trop terne sans la présence de l’Autre.
Laetitia, c’est une jeune femme pleine de vie et d’optimisme. Elle accueille l’homme de sa vie à bras ouverts et ensemble, ils entament une vie en commun faite de rires, de complicité et d’amour.
Florent, c’est un jeune gars souriant et très sportif. Quatre fois par semaine, quelle que soit la météo, il court au moins une heure et demie. Se défouler en parcourant des kilomètres au pas de course lui permet de dépenser son trop-plein d’énergie et de prendre soin de sa santé.
Il trouve rapidement un emploi dans une entreprise de désamiantage et décroche un contrat à durée indéterminée ! Quel bol ! Ils vont pouvoir réaliser un de leurs rêves et se lancer dans l’achat d’une maison, un bel avenir s’ouvre à eux.
Malheureusement, et parce que tout ne se déroule pas toujours comme on le souhaiterait, leur beau projet est mis entre parenthèses lorsque Laetitia est frappée de plein fouet par une maladie terrifiante : on lui détecte une tumeur au cerveau. Des mois de lutte, sa force de caractère et l’amour de Florent lui permettent de vaincre ce mal. Après cette période très difficile et pleine d’angoisse, les amoureux reprennent enfin leur route, toujours main dans la main.
Début janvier 2016, ils emménagent dans une belle maison moderne. Tout est bien !
Le 27 février de la même année, alors qu’ils sont invités pour un repas de famille chez la marraine de Laetitia, Florent ressent une vive douleur à la cuisse gauche en se relevant après s’être accroupi. « Sans doute un claquage » dit-il à Laetitia qui a repéré sa grimace de douleur.
Dans le courant de la soirée, cette douleur s’amplifie, au point qu’aux alentours de minuit, il n’est plus possible à Florent de poser le pied gauche à terre. Il n’est même plus en mesure de conduire et c’est l’une de leurs amies qui les déposent à l’hôpital de la Citadelle.
Dans la salle d’attente des urgences, Florent est livide, il frissonne. Laetitia le couvre de son manteau, leur amie lui prête également le sien, mais Florent continue à claquer des dents. Cinq heures après leur arrivée, un médecin les reçoit enfin. Après un bref examen, le verdict tombe : c’est effectivement un claquage d’un muscle de la cuisse. Laetitia est dubitative : un claquage ? Et cette fièvre alors ? Le médecin est formel, quelques anti-inflammatoires et un peu de repos et il n’y paraîtra plus. Florent est sportif, et il doit savoir que ce sont des choses qui arrivent, non ?
Le jeune couple rejoint donc son domicile. La douleur ne cesse pas, bien au contraire. Laetitia voit bien que Florent va de plus en plus mal. A 13h, elle prend la décision de retourner aux urgences. En y arrivant, elle hurle qu’elle exige qu’on pratique des examens approfondis, son compagnon va mal, qu’on arrête de leur parler de claquage, c’est plus grave, ça se voit ! Florent est pâle comme un linge, ses yeux sont cerclés de noir, il fait peur à voir.
Les médecins la prennent enfin au sérieux et il est amené en salle d’examen. Peu de temps se passe avant qu’un médecin visiblement catastrophé, ne demande à Laetitia d’appeler la famille proche de Florent. Il va très mal. Les analyses démontrent que sa cuisse est en proie à l’attaque d’une bactérie très virulente, il souffre d’une « fasciite nécrosante », un nom barbare pour une infection rare dont les conséquences peuvent être mortelles. Malheureusement, depuis son arrivée, l’état de Florent s’est dégradé et les médecins sont très pessimistes quant à son évolution.
Laetitia est anéantie et utilise ce qui lui reste comme force pour conserver son sang-froid en conduisant Florent jusqu’aux portes du bloc opératoire. « Ça va aller » lui dit-elle et lui, extrêmement faible et en extrême souffrance, lui répond « J’ai pas le choix ».
Une fois les portes du bloc refermées sur celui qu’elle aime, Laetitia s’effondre.
La famille de Florent arrive, après avoir parcouru les plus de 200 km les séparant de Liège.
Après une attente leur ayant semblé interminable, ils voient arriver le médecin qui a opéré Florent. « J’ai fait tout ce que j’ai pu pour le sauver et conserver sa jambe » annonce-t-il « Cependant, je dois vous informer qu’il y a un grand risque pour qu’une septicémie se développe. Dans ce cas, je n’aurais d’autre choix que de l’amputer … s’il survit à l’infection ». En effet, cette terrible maladie risque d’atteindre les organes vitaux de Florent, sa vie ne tient plus qu’à un fil.
Plongé dans le coma, aux soins intensifs, veillé le plus souvent possible par sa tendre Laetitia et sa famille, Florent ne va pas bien du tout. Ses reins se bloquent, ses poumons ne fonctionnent plus correctement. Il est méconnaissable, défiguré par les œdèmes.
Les médecins ont dû lui ouvrir la jambe gauche de haut en bas, afin de retirer les chairs nécrosées par la bactérie. La situation est épouvantable. Laetitia, lorsqu’elle n’est pas près de lui, ne quitte plus son téléphone portable, craignant de voir apparaître sur l’écran le numéro de l’hôpital.
Et pourtant, petit à petit, les organes de Florent se remettent à fonctionner et, au bout d’un peu plus de 15 jours de coma artificiel, les médecins décident de l’éveiller, afin de pouvoir procéder aux nombreuses greffes de peau qui vont être nécessaires pour recouvrir sa jambe gauche, dont les chairs sont à nus.
Laetitia et la famille de Florent trépignent d’impatience, ils vont enfin pouvoir lui parler, lui demander comment il va, le rassurer, l’entourer, lui dire à quel point ils ont eu peur pour lui !
Quand il ouvre les yeux, Florent semble hagard, il regarde Laetitia, puis se met à fixer le plafond, des larmes coulant sur ses joues. Il ne prononce pas un mot. Cet état de léthargie durera plus d’une semaine. Sept jours durant lesquels Laetitia essaie de communiquer avec cet homme qu’elle aime tellement et qui lui manque atrocement. Elle essaie de capter son regard, en vain. Elle commence à craindre que la bactérie et le coma n’aient engendré des dégâts au niveau cérébral. Elle a le sentiment que cet homme, pâle et décharné par la maladie et l’alitement, n’est pas Florent, elle a l’impression qu’il n’est plus là. Elle est désespérée.
Bien plus tard, Florent lui expliquera que, durant son coma, il a vécu de drôles de choses. Pendant cette période mystérieuse, dont même la science ne sait pas grand-chose, il a eu le sentiment de vivre un drame. Il lui a semblé qu’on leur avait tiré dessus et que lors de cette fusillade, il avait été blessé à la jambe et que Laetitia avait été tuée. Désespéré, il ne pouvait faire le deuil de sa moitié d’orange. Alors, quand il avait ouvert les yeux, sorti de ce cauchemar par le réveil provoqué par les docteurs, il l’avait vue et s’était dit que lui aussi venait de mourir, et qu’elle était là pour l’accueillir dans l’au-delà.
Florent avait été transféré dans un service dédié aux grands brûlés au CHU de Liège. Les médecins de cet hôpital, contrairement à celui qui l’a opéré à la Citadelle, préconisent l’amputation. Pour eux, vivre avec une jambe « qui ne sert plus à rien » va représenter une contrainte, et ne présentera aucun avantage.
Alors qu’un médecin essaie de lui expliquer qu’il serait vraiment mieux pour lui qu’il accepte d’être amputé, Florent, toujours alité dans son lit d’hôpital lui répond « Non, Docteur, je refuse. Et vous savez pourquoi ? Parce que je bouge le gros orteil, ma jambe vit toujours ». Laetitia, bouleversée par ces mots et leur impact sur la vie de son compagnon, quitte la pièce pour lui cacher son émotion.
Florent traverse les épreuves où se succèdent greffes et atroces douleurs dues aux soins post-opératoires avec énormément de courage. Il se bat, il refuse de baisser les bras.
Durant les 6 mois de revalidation qu’il passe au centre de Fraiture, il s’acharne à se remettre debout. Sa jambe gauche est dorénavant à peine plus épaisse que celle d’un jeune enfant. Il n’a plus ni muscle, ni rotule… Sous la peau greffée, il n’y a plus que les os et un peu de chair. Le corps médical l’a prévenu : plus jamais, il ne pourrait s’appuyer sur cette jambe détruite. Et pourtant… et pourtant à force de courage et d’envie de vivre le plus normalement possible, Florent parvient à réaliser l’impossible. La peau, que les médecins ont greffée sur les chairs qui ont été rongées par l’infection, fait office de gaine. Cela permet à Florent de se tenir debout, en appui sur ses deux jambes.
D’accord, il ne peut plus s’agenouiller, ni sauter en l’air… mais il se déplace sans avoir besoin de fauteuil roulant. Sa canne est devenue son amie, elle l’aide à être un homme autonome !
A sa sortie du centre de revalidation, fin 2016, après 10 mois passés hors de chez lui, lui et Laetitia sont forcés de constater que la maison dans laquelle ils avaient décidé de s’installer juste avant le drame n’est absolument pas adaptée à une personne souffrant de problèmes de mobilité. Ils doivent à nouveau changer de domicile.
Florent est miné par l’absence de sport. Il souffre de cet immobilisme imposé par son problème de santé. Il a le sentiment d’être enfermé dans un corps qui lui est hostile, car il lui refuse cet épanouissement essentiel à ses yeux : celui de bouger en toute liberté, de se dépenser sainement
Leur déménagement, rendu compliqué par le handicap, s’avère finalement une très bonne chose : la maison dans laquelle ils décident d’emménager est située à Amay, le « fief » de l’ASBL Leg’s Go. A peine installés, Laetitia entend parler de cette association qui permet à des personnes amputées de pratiquer la course à pied. Elle en contacte le responsable, Luc, lui expliquant que son compagnon n’est pas amputé, mais que sa mobilité est entravée par une jambe qui ne fonctionne plus. Luc lui répond que Florent est le bienvenu dans l’école de course de Leg’s Go « Je Cours pour Leurs Jambes ». Mais Florent n’est pas prêt. Pourtant il a, grâce à un ostéopathe du centre de revalidation, pu bénéficier du financement d’un handbike. Mais cet objet est pour lui un symbole du handicap qu’il a du mal à accepter.
Les mois passent, et Florent apprend à vivre de mieux en mieux malgré les contraintes imposées par sa jambe malade. Et puis, un jour, il se sent capable de reprendre le sport et d’apprendre à utiliser son handbike. Il prend conscience du fait qu’il est absolument nécessaire de reprendre sa santé en main, il a payé pour savoir qu’un corps, on n’en a qu’un et que l’entretenir, c’est un devoir.
Il prend son courage à deux mains, et appelle Luc. Accueilli à bras ouverts par les membres de « Je Cours pour Leurs Jambes », il découvre le plaisir de progresser dans un sport qu’il n’avait jamais eu l’occasion de pratiquer. De semaines en semaines, il se rend compte des bienfaits de ce sport adapté et des moments de complicité et de partage avec d’autres personnes connaissant les contraintes imposées par un handicap.
Sans trop y réfléchir, il décide de relever un défi de taille : participer à un triathlon, celui de la Gileppe. Quand il annonce à Laetitia qu’il va nager 500 mètres dans un lac, parcourir 20 km en handbike et déambuler en chaise sur une distance de 5 km, elle le regarde avec de grands yeux, abasourdie !
Et Florent termine avec brio cette épreuve, tellement exigeante que bien des personnes valides renoncent à s’y aventurer.
Ravi d’y être arrivé, il décide de s’entraîner pour participer à d’autres triathlons. Augmenter les distances et améliorer ses temps devient un vrai objectif de vie.
Malgré sa jambe « raide », Florent décide de faire adapter un vélo afin de pouvoir redevenir un « cycliste debout ». Découvrir qu’il a sa place dans le monde fermé des triathlètes lui donne la pêche, il savoure ses progrès et a le sentiment que rien ne lui est impossible. Florent découvre que le drame qui lui est arrivé, que les moments horribles qu’il a traversé ne l’ont pas « mis à terre », non, loin de là, ils lui ont donné le goût de se dépasser, et de ne jamais abandonner !
Florent ne s’arrêtera pas, il atteindra ses objectifs, donnant raison à cette célèbre citation du non moins célèbre Martin Luther King : « Croyez en vos rêves, ils se réaliseront peut-être. Croyez en vous, ils se réaliseront sûrement ».

FLORENTIN

Bonjour, je suis Florentin, tout le monde m’appelle Flo. 
Je suis venu au monde le 18 décembre 2003, un joli cadeau de Noël de 3880 grammes pour mes parents, Christine et Benoît et mes deux grands frères, Benjamin et Thomas.
Trois garçons dans une même famille, ça déménage. On s’amuse chez nous, on fait des bêtises. Parfois, maman ne sait plus où donner de la tête ! Papa, ça le fait plutôt rire toute cette agitation, il est fier de voir ses trois beaux fils grandir. 
Avril 2009, j’ai 5 ans et je suis en 3ème maternelle, bientôt, je rejoindrai mes frères au Collège. Le mercredi 8, Maman me fait monter dans la voiture et nous nous mettons en route pour aller chercher papa au travail.
Arrivés sur place, je saute de la voiture, je galope pour aller rejoindre mon père qui se trouve dans l’atelier de menuiserie. Maman est derrière moi. Dans la cour, il y a un gros engin garé, il est beau, il est tout rouge comme un camion de pompiers. J’ai déjà vu mon papa s’en servir pour transporter des planches de bois super lourdes ! Ça avait l’air super facile ! Ooooh, j’ai trop envie d’essayer, juste pour voir si c’est aussi amusant que ça en a l’air. 
Avec mes petites jambes de petit garçon, je grimpe sur la machine, il y a des boutons, des manettes… je tire sur une d’entre elles. Ça bouge, hé, j’y arrive, comme papa ! Mais comment on l’arrête, ce truc ? Il recule et, juste derrière moi, il y a une grosse étagère en fer. Aïe, la machine va foncer dedans !
J’ai peur, je vais me faire gronder là, car j’ai fait une grosse bêtise… Je saute de l’engin qui continue à reculer, je tombe et je me retrouve coincé contre la grosse étagère. Je n’arrive pas à bouger. Je crie aussi fort que je le peux. Je n’ai pas mal, mais j’ai tellement peur ! 
Maman arrive en courant. Elle hurle, je ne savais pas qu’elle pouvait crier aussi fort. Elle crie « Mais bougez ce truc ! ». Elle regarde sous la machine et crie encore plus fort, elle appelle papa qui arrive en courant. 
Papa essaie de faire bouger la machine, mais elle est coincée, elle s’est mise en mode « sécurité », on ne sait plus la déplacer.
J’entends Maman dire « Benoît, attends… Il ne faut pas qu’on fasse n’importe quoi ! Comment allons-nous sortir notre petit de là ? ». Elle appelle les secours, elle leur dit que je suis coincé sous une machine et qu’elle a vu que ma jambe était presque arrachée.
Papa se précipite dans l’atelier et revient avec une sorte de barre de fer, je sais maintenant qu’on appelle ça un pied de biche. Avec son collègue, il essaie de dégager ma jambe. J’entends qu’il force, il fait des bruits comme les sportifs qu’on voit soulever des poids dans les films. Je sens que l’étagère bouge un peu.
Tout à coup, je sens qu’on me tire en arrière. On me déplace et maman prend ma tête sur ses genoux, elle me caresse les cheveux. Papa a mis sa ceinture autour de ma jambe et a arraché sa chemise pour en faire un pansement. J’entends des sirènes. Maman et papa m’ont dit plus tard qu’ils ont eu l’impression d’attendre une éternité avant l’arrivée de l’ambulance. 
Je commence à me sentir mal, j’ai la tête qui tourne, j’ai peur, je m’agite… maman demande aux secours qu’on m’endorme et là je m’enfonce dans un « gros dodo », un sommeil d’enfant où je n’ai plus peur…
Plus tard, j’ai appris que Papa était très mal quand les secours sont arrivés. Maman a eu peur qu’il ne s’effondre. Il avait mal du côté du cœur, il tremblait, il était pâle, les médecins se sont occupés de lui et comme moi, il s’est retrouvé aux urgences, mais lui du côté des grands, moi j’étais du côté des enfants.
Arrivé à l’hôpital, je dors toujours. Maman m’a raconté qu’on a fait des radios de ma jambe. Quand les médecins ont fini de m’examiner, après un moment qui lui semble un siècle, ils viennent la trouver. Elle leur dit « Vous allez lui couper la jambe, n’est-ce pas ? ». Ils lui répondent que non, qu’on va m’opérer, qu’ils vont nettoyer mes plaies et réparer « tout ça ». 
Papy est arrivé. Avec Maman, ils peuvent maintenant se partager entre papa et moi. Papa, ça va mieux, il s’est fait très mal en forçant pour me sortir de mon piège de métal, mais son cœur n’a rien… il peut quitter les urgences et venir me retrouver. 
Après l’opération, j’ai comme des tiges de fer qui sortent de ma jambe. C’est impressionnant, mais ça rassure mes parents : on soigne ma jambe, ça va aller ! Pourtant, quelques jours plus tard, on leur annonce qu’il va falloir me couper un doigt de pied ! Ça les anéantis. C’est comme une douche froide pour eux : ils ont d’abord cru que je perdrais la jambe, on leur a dit que tout irait bien, maintenant ça ne va plus…voir leur tout petit garçon aux soins intensifs, c’est insupportable. J’ai appris bien plus tard que quand elle est rentrée à la maison après avoir appris cette nouvelle, Maman a jeté au jardin les chaussures que les cloches m’avaient amenées pour Pâques ! C’était des super baskets qui clignotent quand on marche ! Et bien Maman, elle ne pouvait plus les voir, c’était trop difficile pour elle ! Heureusement, les cloches m’avaient amené un tas d’autres cadeaux que j’ai reçus à l’hôpital !
Chaque jour, on me descend au bloc pour refaire mes pansements. Quelle sale période ! Je n’ai que cinq ans et je me retrouve dans une chambre remplie de machines avec des aiguilles plantées dans les bras, ce n’est vraiment pas amusant du tout. Pourtant, je ne me plains jamais, tout le monde me dit que je suis un « petit patient exemplaire » …
Et puis, après quelques temps, le verdict tombe… j’ai la gangrène. On m’explique qu’il va falloir enlever un morceau de ma jambe. Je ne comprends pas bien ce que ça veut dire. Tout ce que je veux, moi, c’est sortir d’ici, retrouver mes frères, mes grands-parents, mon chien, mes copains, et même l’école ! 
Quand on leur annonce qu’on doit m’amputer, Maman et Papa ont l’impression que le ciel leur tombe sur la tête. Leur monde s’arrête de tourner… Maman s’assied, tout seule sur un banc, et elle pense « Mon petit Florentin ne portera plus jamais de short », cette pensée lui tourne dans la tête sans arrêt.
Mes parents n’arrivent pas à croire qu’il n’y a pas d’autre solution, Maman veut absolument voir ma jambe, elle veut comprendre pourquoi on va amputer son petit garçon… Finalement, à force d’insister, les médecins acceptent, et leur montrent des photos de ma blessure. Quand ils voient ces clichés, Maman et Papa comprennent qu’il faut vraiment se dépêcher de me couper cette jambe malade. En plus, je commence à avoir de la fièvre. L’infection gagne du terrain. Mes parents pensent qu’ils vont me perdre ! 
Le jour arrive, ce jour où on va « m’enlever mon morceau de jambe », comme me le répète l’infirmière. Maman m’embrasse. Elle m’accompagne jusqu’à la porte du bloc opératoire. Elle me regarde entrer dans cette pièce en pensant « A partir d’aujourd’hui, rien ne sera plus jamais pareil ». 
Les médecins ont dit à mes parents que l’opération pourrait durer très longtemps. La priorité est de garder mon genou, pour qu’il soit plus facile de m’appareiller par la suite. Deux heures après que je sois entré au bloc, un médecin vient voir mes parents et leur annonce « c’est fini ». L’attente a été si courte que Maman interprète ces mots comme l’annonce de mon « grand départ », elle fond en larmes. Le médecin la rassure… l’opération est terminée, tout s’est bien passé.
Quand mes parents peuvent enfin me voir, je dors toujours. Maman soulève le drap, il y a un vide à la place de ma jambe droite… Son petit garçon de cinq ans est amputé.
Lorsque je m’éveille, une infirmière est près de moi et me demande si je veux voir ma jambe. Non ! Je ne veux pas voir ! J’ai peur ! Je veux que tout le monde parte, je ne veux plus parler à personne, je ne veux plus voir personne. Je ne veux pas savoir qu’on m’a « enlevé ma jambe », je veux que tout soit comme avant ! Dans les histoires qu’on raconte aux enfants, même quand il se passe des choses horribles, ça se finit toujours bien ! Pour moi aussi ça va être comme ça ! Il va se passer quelque chose et tout va s’arranger !
Et puis non, aucune fée ne vient avec une baguette magique, aucun super-héros n’arrive pour faire repousser ma jambe… Alors, avec Maman, j’accepte petit à petit de bouger le drap pour regarder ce que j’appellerai dorénavant ma petite jambe.
Je suis devenu un petit handicapé. On me promène dans les couloirs dans un fauteuil roulant. Je vois les grandes personnes qui me regardent avec leurs yeux tout mouillés… et les enfants qui tirent sur la manche de leurs parents pour leur montrer ce drôle de petit garçon avec sa petite jambe. Maman déteste qu’on me regarde, elle pose une couverture sur mes jambes. Et puis un jour je lui dis « Tu sais, Maman, maintenant, j’aurai toujours cette petite jambe. Arrête de la cacher… ».
Un jour, le Docteur Stainier, qui me connait très bien me présente Lucie, une grande fille de 8 ans. Elle entre dans ma chambre en marchant. Et puis elle me raconte : elle est née en Inde et elle aussi a perdu un morceau de jambe. Et pourtant, elle marche ! Mais comment fait-elle ? Elle me montre. Elle enlève un morceau d’une de ses jambes : c’est une prothèse. Grâce à ça, elle marche, elle s’amuse avec ses amis, fini le fauteuil roulant. Et elle me dit « Toi aussi, tu vas avoir une belle petite jambe comme ça. Etre amputé, c’est pas grave, Flo, regarde-moi ! ». Elle m’a même apporté un cadeau : une de ces anciennes prothèses ! Elle me la donne pour toujours… Je la garderai toujours.
Et puis tout s’est enchaîné. J’ai fait plein de séances de kiné, et puis de la rééducation en piscine aussi ! C’était dur, ça faisait mal, j’étais parfois en colère et puis fatigué aussi ! 
Un vendredi, Benoît, qui travaille dans le magasin où on fabrique des prothèses, me place ma première « fausse jambe ». J’ai peur : je vais tomber. Mais Benoît me dit « Regarde là, Flo, il y a des barres auxquelles tu peux te tenir, vas-y, tiens-toi, et marche ». J’y arrive ! Trop fort ! Je marche ! 
Benoît veut récupérer ma prothèse pour pouvoir la finir ! Non ! Non ! Non ! Je ne veux pas la rendre, ça fait des mois que je suis assis ou couché ! Je veux rester debout ! Je ne suis plus un bébé, j’ai cinq ans et demi ! Ça se tient debout, un garçon de cinq ans et demi ! 
Il est gentil, Benoit, il me laisse la reprendre pour le week-end ! J’en connais deux qui vont être épatés : Benjamin et Thomas, mes deux frères qui, pendant mes cinq semaines d’hospitalisation, se sont demandé si je rentrerais un jour à la maison, et aussi si je remarcherais. Vous savez, Benjamin, qui a 6 ans de plus que moi, m’a raconté que quand on lui a dit qu’on allait m’amputer, a dit qu’il préfèrerait qu’on lui coupe la jambe ! Lui, il était grand, moi, j’étais trop petit pour qu’on me fasse ça… 
En rentrant à la maison sur mes deux jambes, la première chose que je demande, c’est mon vélo Mickey ! Je venais juste d’apprendre à rouler sans mes petites roues avant mon accident ! En riant, mes parents me disent qu’il faudra attendre un peu. Tout le monde rit, la vie reprend ses droits !
Et moi, je reprends ma place dans la maison… Oh, il y a bien toutes ces visites chez le kiné, chez le médecin, mais au moins, je suis chez moi ! Choyé par Maman, Papa, Mamy, Papy… et puis avec mes frères, on joue et on rigole, comme avant ! 
Quand je retourne à l’école, une infirmière et la psychologue de l’hôpital viennent expliquer aux enfants de la classe ce qui m’est arrivé, leur montre ma prothèse. Les copains posent plein de questions : est-ce que ça fait mal ? Est-ce que je vais faire dodo avec ma fausse jambe ? Depuis, chaque début d’année, maman vient expliquer mon handicap aux autres enfants. Tout le monde est sympa avec moi. Il y a juste une fois où un garçon m’a traité de « jambe de bois ». Il s’est fait disputer par le directeur, et puis Tomy, mon meilleur ami, m’a défendu. Tomy, c’est presqu’un frère, on fait les 400 coups ensemble. Pour lui, je suis juste Flo, je ne suis pas le « petit amputé ».
Vous savez, j’ai une petite jambe, c’est vrai, mais je suis un garçon comme les autres ! Je fais des bêtises, je chante, je danse même, j’embête mes parents, je leur fais des câlins aussi. Pour moi, rien n’a vraiment changé !
Parfois, je m’amuse à montrer à mes copains comment on enlève et remet une prothèse ! Ça les épate, c’est comme si j’étais un robot !
Maintenant, j’ai presque 14 ans ! J’ai envie de faire plein de choses. J’aimerais faire du vélo, aller plus souvent à la piscine… J’ai envie de faire du sport.
Courir… courir ce serait un rêve ! J’ai besoin de bouger, à 14 ans on a tellement d’énergie…
Maman a tout le temps peur pour moi. Elle, elle sait que parfois, la vie fait de sales blagues. Elle a peur que, si je fais du sport, je me blesse et que je ne puisse plus marcher ! Papa, lui, il a envie que je bouge. Il explique à Maman que je dois vivre ma vie. Avec lui, avec mes frères, on rassurera Maman… Elle verra que maintenant, tout va bien !
Je sais que parfois, elle se sent coupable de ce qui m’est arrivé ! Et pourtant, personne n’y peut rien. J’étais un petit garçon qui a fait ce que plein de petits garçons auraient fait… ça a mal tourné, c’est tout !
Il y a peu de temps, j’ai rencontré Luc. Il a créé une Asbl qui aide les personnes qui ont perdu une (et même deux !!!) jambe(s) à acheter la prothèse qu’il faut pour courir. Il parait que ça coûte aussi cher qu’une petite voiture ! Avec le bourgmestre de ma commune, ils ont proposé à mes parents d’organiser un évènement pour récolter les sous nécessaires pour m’acheter la lame en carbone pour que je puisse courir ! Peut-être que bientôt, je pourrais moi aussi courir avec Tomy, avec d’autres enfants… peut-être que je vais être encore plus comme les autres ! Et puis, je vais pouvoir montrer de quoi je suis capable ! Car je suis capable de grandes choses, vous savez !
J’ai lu une citation de Mark Twain « Dans 20 ans, vous serez plus déçu par les choses que vous n’avez pas faites que par celles que vous avez faites. Alors sortez des sentiers battus. Mettez les voiles. Explorez. Rêvez. Découvrez. » 

LAURA

« Vas-y Laura, cours, cours, cours ». Ces hurlements d’encouragement sont ceux de mon père, Pascal, alors que je me démène sur le terrain de foot.

Et oui, je m’appelle Laura et depuis l’âge de 5 ans je joue au football. Faut dire que « je suis tombée dedans quand j’étais petite ». Mon père entraîne une équipe et pour moi « coup franc » « penalty » et autre « hors-jeu » sont des mots que j’ai appris à dire pratiquement en même temps que « Maman » ou « Papa ». Pour Anthony, mon grand frère, c’est la même chose. Papa nous a transmis sa passion et chaque week-end, Maman se retrouve au bord du terrain à nous encourager. Il n’y a pas que le foot que j’aime. J’ai, comme on dit, le sport dans le sang. Cardio en salle, vélo de route, j’ai besoin de bouger chaque jour, ça me vide la tête. Dans mon quartier on m’appelle d’ailleurs « la fille au vélo ».

Juillet 2012, nous rentrons d’une semaine passée dans le sud de la France. Bronzé, reposé, Papa reprend le chemin du boulot. Quelques jours plus tard, notre vie bascule dans l’horreur. Cet homme sportif, plein de vie, en parfaite santé nous quitte sans que nous ayons eu l’occasion de lui dire au revoir, de lui dire à quel point nous l’aimions. Terrassé par une crise cardiaque à 47 ans ! Maman, Anthony et moi sommes effondrés, écrasés sous le poids de la douleur, ne pouvant croire que nous ne le verrons plus, qu’il ne partagera plus nos repas, qu’il n’apparaîtra plus jamais dans l’embrasure de la porte, son large sourire semblant éclairer toute la pièce. J’ai 15 ans et mon papa, mon héros, vient de mourir…

Tant bien que mal, et parce que la vie ne vous laisse pas le choix, nous essayons de continuer à vivre. Nous savons tous trois que Papa n’aurait pas supporté que sa famille s’effondre suite à son départ. Maman se retrouve seule à élever ses deux enfants en pleine adolescence. Femme de devoir, elle relève ses manches et, brave petit soldat lancé dans une bataille qu’elle n’a pas choisie, elle avance en prenant soin de ses petits, de leurs petits ! Nona et Nono, ses parents, sont là pour la soutenir, heureusement. Mais l’amour de parents, aussi inconditionnel soit-il, ne parvient pas à remplacer la douceur des bras de celui qu’on aime et avec qui on a fait le choix de partager son existence.

Les jours, les semaines, puis les mois s’écoulent… la première année suivant le départ d’un proche est terrible. Chaque date symbolique rappelle des souvenirs heureux qui, en l’absence de l’Autre, deviennent de vrais coups de poignard dans le cœur…

Et pourtant, il faut avancer. A l’étonnement de tous, j’ai choisi pour orientation scolaire l’option esthétique. Et oui, moi la petite bonne femme sportive, très souvent juchée sur son vélo ou avec un ballon au pied, j’adore le monde de la beauté. Faire du bien aux femmes tout en les rendant belles c’est ce que j’aime. Etonnant, je le concède, mais pas incompatible du tout. Je trouve mon équilibre en combinant ces deux domaines presqu’à l’opposé l’un de l’autre.

J’ai un grand rêve : devenir joueuse de football professionnel. Et si ça ne marche pas, et bien je choisirai ma deuxième option, je travaillerai dans l’esthétique !

Un matin de juin, en 2015, l’année de mes 18 ans, je me lève avec une terrible douleur à la jambe gauche. Je n’arrive pas à la plier, qu’est-ce que ça fait mal !

Je me dis que c’est sans doute la conséquence de ma séance de sport en salle d’hier. C’est vrai que j’ai forcé, et que combiner 4 entraînements de foot par semaine avec le vélo et la salle chaque jour, ça peut sans doute laisser des traces.

Cependant, la douleur est tellement intense que mon grand-père décide de me conduire à l’hôpital. Maman travaille et c’est donc en compagnie de Nono que je rencontre un orthopédiste qui m’examine et pense déceler une tendinite. Quand nous lui demandons s’il ne vaudrait pas mieux faire un examen radiologique, il nous rassure et nous renvoie à la maison en disant qu’avec un peu de repos, il n’y paraîtra plus…

Pourtant, les jours passent et j’ai de plus en plus mal. Je n’arrive toujours pas à plier le genou, je n’arrive plus à courir, je ne dors plus, cette souffrance qui ne me quitte pas devient insupportable.

Je sens que c’est grave, j’ai le réel sentiment que ce mal que je ressens n’est pas un « petit bobo », je pense que je suis malade, très malade… Maman décide de m’emmener dans un plus grand hôpital. Quand j’explique mes symptômes et depuis quand ils durent, on décide de me faire passer une IRM. Alors que nous rentrons à la maison l’hôpital nous appelle. Lors de l’examen, les médecins ont détecté une masse et souhaitent pousser les investigations un peu plus loin. Nous retournons les voir et on me fait une ponction. Les analyses de ce prélèvement révèlent que je souffre d’une tumeur. On décide de m’envoyer à Saint-Luc à Bruxelles afin que je rencontre un professeur spécialisé en chirurgie orthopédique. Nous obtenons un rendez-vous assez rapidement et lors de la consultation et au vu des informations qu’il détient, le professeur prononce ces mots que je n’oublierai jamais « Laura, c’est grave ! Il va falloir te battre. Assieds-toi, pleure un bon coup et puis bats-toi ! ».

J’ai 18 ans, et on m’annonce que je souffre d’un ostéosarcome. Un cancer qui ronge l’os de ma jambe et qui, si on ne l’arrête pas, pourrait me tuer. Ce cancer, ce crabe qui a pris possession de mon corps, va peut-être m’empêcher d’atteindre l’âge adulte. Il pourrait bousiller mes rêves, il pourrait faire de moi une victime supplémentaire à ajouter à son tableau de chasse !

Je suis effondrée, et je vois bien que Maman, malgré son air rassurant, est complètement déboussolée par cette terrible nouvelle. Elle qui a perdu l’amour de sa vie il y a trois ans à peine pourrait perdre sa fille. La vie est parfois tellement cruelle, tellement semée d’embûches insupportables !

Le professeur nous explique qu’il va m’opérer. Cet os atteint par le cancer, il le coupera pour le remplacer par une prothèse interne. Mais avant cela, il faudra passer par la « case chimiothérapie ».

Bon, je n’ai pas le choix, il me l’a dit, le Professeur, je dois me battre, je dois mettre toutes les chances de mon côté pour combattre ce mal, le vaincre et pouvoir poursuivre mon chemin, aller vers la vie que je me suis imaginée.

Les médecins ont programmé 10 séances de chimio. Au départ, je me dis que la chimio, ça va juste être une injection qui va m’aider dans ma lutte contre la maladie. Une formalité, quoi ! Je n’ai pas conscience que chaque séance va m’obliger à rester trois jours à l’hôpital, et que les substances qui s’écoulent dans mes veines vont me rendre malade, m’empêcher de manger, générer des aphtes qui envahissent ma bouche, et qui, combinées à mon appareil dentaire provoquent des douleurs insupportables. Heureusement, Maman est toujours là, passant chaque nuit à l’hôpital dans un lit près du mien. Régulièrement, à peine rentrée à la maison après une séance de chimiothérapie, je dois retourner aux urgences, en proie à des poussées de température intense. Je ne vais vraiment pas bien du tout !

Au bout de 8 séances, au vu de mon état d’affaiblissement et de mon amaigrissement me fragilisant un peu plus chaque jour, le corps médical décide d’arrêter la chimiothérapie et de passer à l’opération. Pour cela cependant, il faut que je reprenne des forces.

Au bout de quelques semaines, le jour de l’intervention arrive et c’est plutôt confiante, me disant que le bout du tunnel était enfin visible, que je me retrouve dans le bloc opératoire. Avant de sombrer dans le sommeil artificiel dû aux anesthésiants, je me dis que je vais enfin pouvoir revivre la vie d’une jeune femme de mon âge, que le pire est derrière moi.

Lorsque, le lendemain, je revois le Professeur qui m’a opérée, je déchante. Il m’annonce que le sport, pour moi, c’est fini. Jamais plus je ne pourrais courir.

Là, le monde s’écroule pour moi. J’ai cru que cette opération allait me permettre de vivre « normalement » et on m’annonce que je vais devoir renoncer à ce que j’aime le plus. Maman arrête de travailler, elle veut être là pour moi, veiller sans cesse sur son enfant souffrant.

La période de rééducation est terrible. Les douleurs restent horribles, et au bout de nombreuses séances de kiné, je n’arrive toujours pas à plier la jambe. Lors d’une consultation de contrôle, le chirurgien me dit que je dois faire plus d’efforts, qu’il n’est pas normal que les choses évoluent si lentement.

Je veux guérir et sur ses conseils je m’applique plus encore, je fais tous les exercices que l’on me prescrit. J’essaie de vivre le plus normalement possible. Je parviens même à passer mon permis de conduire malgré les souffrances qui m’épuisent et me minent. Je suis obligée, pour tenir le coup, de consommer de fortes doses de morphines…morphine

Et puis, lors d’une séance de kiné, le praticien me dit qu’il sent une boule à l’arrière de mon genou. Il me conseille de consulter rapidement afin de vérifier qu’il n’y a rien de grave.

A l’échographie réalisée à l’hôpital, je vois apparaître sur l’écran une masse en forme de trèfle à quatre feuilles. C’est tellement surprenant que j’en prends une photo ! Je n’ai jamais vu ça de ma vie, et visiblement le radiologue non plus.

Le verdict est sans appel, il s’agit d’une récidive, le cancer est à nouveau là !

Il faut m’opérer à nouveau, et vite !

Après l’intervention, le médecin nous convoque, Maman et moi. Il nous annonce que ce qu’il a enlevé est très mauvais, grave, et qu’un risque de récidive n’est pas à exclure.

Il m’explique que dans mon cas, il y a trois solutions. Soit rester comme cela en ayant une jambe raide qui risque d’à nouveau être attaquée par le cancer, soit de procéder à ce qu’on appelle une plastie de rotation, ce qui signifie qu’on me couperait le pied pour le greffer à la place de mon genou. Ou alors on m’ampute la jambe au niveau de la cuisse.

Abasourdie et ne comprenant pas tous les enjeux de ces « propositions », je rentre à la maison et prépare trois feuilles, une pour chaque possibilité décrite par le Professeur.

Après de nombreuses recherches sur Internet, je décide d’opter pour la plastie de rotation. Je l’annonce au Professeur qui me répond que finalement, ce n’est pas le bon choix… Son argument est que, vu mon âge, mon cerveau n’est plus suffisamment malléable pour assimiler le fait que mon pied va en fait devenir mon genou.

Je n’ai plus vraiment le choix, je ne peux plus supporter de souffrir autant, je décide donc de me faire amputer.

Le jour de l’intervention, Maman m’accompagne jusqu’aux portes du bloc opératoire. Je suis effrayée, en larmes. Je me dis que jamais je ne surmonterai ce qui va m’arriver. Maman me rassure : nous nous sommes documentées et avons appris que les prothèses de jambe permettent de nos jours de vivre presque normalement… J’ai su plus tard que, dès que les portes du bloc se sont refermées sur moi, Maman s’est effondrée en larmes, noyée par  l’angoisse.

Lorsque je m’éveille après 5 heures d’opération, alors que j’ai imaginé ne pouvoir supporter la perte de ma jambe, je me sens soulagée. Je fais même une petite blague en disant que ça me fait une belle jambe, tout ça !

Et ma nouvelle vie commence.

Je vis 5 mois de revalidation intense. Je vis la semaine à l’hôpital et rentre le week-end. Je fais des rencontres incroyables, des gens positifs et qui comprennent ce que je vis, vivant eux-mêmes des situations de handicap. Jean-Louis, par exemple, qui a perdu les deux jambes dans l’incendie de sa maison. Lui et moi devenons inséparables. Nous nous présentons comme « le cul de jatte et l’unijambiste : deux personnes et une seule jambe » !

Tous mes amis « d’avant » ont disparu, trouvant des tas d’excuses pour ne pas venir me voir… une partie de la famille a aussi réagi de cette façon-là. Je ne peux pas leur en vouloir, j’imagine que cela devait être difficile d’affronter la situation. Cependant, Maman, Anthony et moi nous sommes sentis fort seuls. Heureusement, Nona et Nono, fidèles piliers, ont toujours été là.

Depuis, je me suis fait un nouveau cercle d’amis, et ceux-là n’en ont que faire de mon bout de moi en moins.

J’ai bien sûr abandonné l’idée de devenir joueuse de foot professionnelle, même si j’ai essayé de réintégrer mon équipe lors des entraînements en jouant en prothèse. Mais c’était trop difficile, je n’avais plus l’agilité d’avant…

J’ai aussi décidé de laisser tomber l’esthétique. Dorénavant, j’ai envie d’aider les autres et là, je commence des études d’éducatrice spécialisée.

J’ai repris le vélo. Maman avait peur, pensait que ça allait être trop difficile mais j’ai acheté des cales pour mes chaussures et malgré quelques pertes d’équilibre au début, je parcours chaque jour une dizaine de kilomètres, ça me vide la tête !

Un jour, un médecin me parle de Leg’s Go, et je décide de contacter Luc pour voir s’il pense pouvoir m’aider à recommencer à courir. Je n’en peux plus de cette immobilité imposée par mon handicap. Tout de suite, il répond présent et me suggère tout d’abord d’utiliser une chaise prêtée par Leg’s Go pour accompagner des personnes qui courent grâce aux prothèses fournies par l’ASBL. Quel bonheur, cela me donne encore plus envie d’essayer de courir.

Bientôt, je vais obtenir ma propre prothèse de course, Leg’s Go va me permettre de redevenir encore un peu plus moi ! Je suis tellement heureuse.

Ma famille et moi avons vécu des choses terribles, j’ai parfois cru ne jamais pouvoir retrouver une vie où je me sentirais bien, j’ai parfois cru sombrer et pourtant… je suis là, nous sommes là et nous avons trouvé notre place au sein d’une belle équipe qui m’encourage, qui nous encourage et qui nous aide à aller plus loin. Il ne faut jamais désespérer, je peux le dire aujourd’hui.

Winston Churchill l’avait dit, et il avait raison « Si vous traversez l’enfer, continuez d’avancer ». J’en suis sortie, et j’ai à nouveau confiance en l’avenir !

Texte : Geneviève Foret – Coach de vie diplômée
« Vas-y Laura, cours, cours, cours ». Ces hurlements d’encouragement sont ceux de mon père, Pascal, alors que je me démène sur le terrain de foot.

Et oui, je m’appelle Laura et depuis l’âge de 5 ans je joue au football. Faut dire que « je suis tombée dedans quand j’étais petite ». Mon père entraîne une équipe et pour moi « coup franc » « penalty » et autre « hors-jeu » sont des mots que j’ai appris à dire pratiquement en même temps que « Maman » ou « Papa ». Pour Anthony, mon grand frère, c’est la même chose. Papa nous a transmis sa passion et chaque week-end, Maman se retrouve au bord du terrain à nous encourager. Il n’y a pas que le foot que j’aime. J’ai, comme on dit, le sport dans le sang. Cardio en salle, vélo de route, j’ai besoin de bouger chaque jour, ça me vide la tête. Dans mon quartier on m’appelle d’ailleurs « la fille au vélo ».

Juillet 2012, nous rentrons d’une semaine passée dans le sud de la France. Bronzé, reposé, Papa reprend le chemin du boulot. Quelques jours plus tard, notre vie bascule dans l’horreur. Cet homme sportif, plein de vie, en parfaite santé nous quitte sans que nous ayons eu l’occasion de lui dire au revoir, de lui dire à quel point nous l’aimions. Terrassé par une crise cardiaque à 47 ans ! Maman, Anthony et moi sommes effondrés, écrasés sous le poids de la douleur, ne pouvant croire que nous ne le verrons plus, qu’il ne partagera plus nos repas, qu’il n’apparaîtra plus jamais dans l’embrasure de la porte, son large sourire semblant éclairer toute la pièce. J’ai 15 ans et mon papa, mon héros, vient de mourir…

Tant bien que mal, et parce que la vie ne vous laisse pas le choix, nous essayons de continuer à vivre. Nous savons tous trois que Papa n’aurait pas supporté que sa famille s’effondre suite à son départ. Maman se retrouve seule à élever ses deux enfants en pleine adolescence. Femme de devoir, elle relève ses manches et, brave petit soldat lancé dans une bataille qu’elle n’a pas choisie, elle avance en prenant soin de ses petits, de leurs petits ! Nona et Nono, ses parents, sont là pour la soutenir, heureusement. Mais l’amour de parents, aussi inconditionnel soit-il, ne parvient pas à remplacer la douceur des bras de celui qu’on aime et avec qui on a fait le choix de partager son existence.

Les jours, les semaines, puis les mois s’écoulent… la première année suivant le départ d’un proche est terrible. Chaque date symbolique rappelle des souvenirs heureux qui, en l’absence de l’Autre, deviennent de vrais coups de poignard dans le cœur…

Et pourtant, il faut avancer. A l’étonnement de tous, j’ai choisi pour orientation scolaire l’option esthétique. Et oui, moi la petite bonne femme sportive, très souvent juchée sur son vélo ou avec un ballon au pied, j’adore le monde de la beauté. Faire du bien aux femmes tout en les rendant belles c’est ce que j’aime. Etonnant, je le concède, mais pas incompatible du tout. Je trouve mon équilibre en combinant ces deux domaines presqu’à l’opposé l’un de l’autre.

J’ai un grand rêve : devenir joueuse de football professionnel. Et si ça ne marche pas, et bien je choisirai ma deuxième option, je travaillerai dans l’esthétique !

Un matin de juin, en 2015, l’année de mes 18 ans, je me lève avec une terrible douleur à la jambe gauche. Je n’arrive pas à la plier, qu’est-ce que ça fait mal !

Je me dis que c’est sans doute la conséquence de ma séance de sport en salle d’hier. C’est vrai que j’ai forcé, et que combiner 4 entraînements de foot par semaine avec le vélo et la salle chaque jour, ça peut sans doute laisser des traces.

Cependant, la douleur est tellement intense que mon grand-père décide de me conduire à l’hôpital. Maman travaille et c’est donc en compagnie de Nono que je rencontre un orthopédiste qui m’examine et pense déceler une tendinite. Quand nous lui demandons s’il ne vaudrait pas mieux faire un examen radiologique, il nous rassure et nous renvoie à la maison en disant qu’avec un peu de repos, il n’y paraîtra plus…

Pourtant, les jours passent et j’ai de plus en plus mal. Je n’arrive toujours pas à plier le genou, je n’arrive plus à courir, je ne dors plus, cette souffrance qui ne me quitte pas devient insupportable.

Je sens que c’est grave, j’ai le réel sentiment que ce mal que je ressens n’est pas un « petit bobo », je pense que je suis malade, très malade… Maman décide de m’emmener dans un plus grand hôpital. Quand j’explique mes symptômes et depuis quand ils durent, on décide de me faire passer une IRM. Alors que nous rentrons à la maison l’hôpital nous appelle. Lors de l’examen, les médecins ont détecté une masse et souhaitent pousser les investigations un peu plus loin. Nous retournons les voir et on me fait une ponction. Les analyses de ce prélèvement révèlent que je souffre d’une tumeur. On décide de m’envoyer à Saint-Luc à Bruxelles afin que je rencontre un professeur spécialisé en chirurgie orthopédique. Nous obtenons un rendez-vous assez rapidement et lors de la consultation et au vu des informations qu’il détient, le professeur prononce ces mots que je n’oublierai jamais « Laura, c’est grave ! Il va falloir te battre. Assieds-toi, pleure un bon coup et puis bats-toi ! ».

J’ai 18 ans, et on m’annonce que je souffre d’un ostéosarcome. Un cancer qui ronge l’os de ma jambe et qui, si on ne l’arrête pas, pourrait me tuer. Ce cancer, ce crabe qui a pris possession de mon corps, va peut-être m’empêcher d’atteindre l’âge adulte. Il pourrait bousiller mes rêves, il pourrait faire de moi une victime supplémentaire à ajouter à son tableau de chasse !

Je suis effondrée, et je vois bien que Maman, malgré son air rassurant, est complètement déboussolée par cette terrible nouvelle. Elle qui a perdu l’amour de sa vie il y a trois ans à peine pourrait perdre sa fille. La vie est parfois tellement cruelle, tellement semée d’embûches insupportables !

Le professeur nous explique qu’il va m’opérer. Cet os atteint par le cancer, il le coupera pour le remplacer par une prothèse interne. Mais avant cela, il faudra passer par la « case chimiothérapie ».

Bon, je n’ai pas le choix, il me l’a dit, le Professeur, je dois me battre, je dois mettre toutes les chances de mon côté pour combattre ce mal, le vaincre et pouvoir poursuivre mon chemin, aller vers la vie que je me suis imaginée.

Les médecins ont programmé 10 séances de chimio. Au départ, je me dis que la chimio, ça va juste être une injection qui va m’aider dans ma lutte contre la maladie. Une formalité, quoi ! Je n’ai pas conscience que chaque séance va m’obliger à rester trois jours à l’hôpital, et que les substances qui s’écoulent dans mes veines vont me rendre malade, m’empêcher de manger, générer des aphtes qui envahissent ma bouche, et qui, combinées à mon appareil dentaire provoquent des douleurs insupportables. Heureusement, Maman est toujours là, passant chaque nuit à l’hôpital dans un lit près du mien. Régulièrement, à peine rentrée à la maison après une séance de chimiothérapie, je dois retourner aux urgences, en proie à des poussées de température intense. Je ne vais vraiment pas bien du tout !

Au bout de 8 séances, au vu de mon état d’affaiblissement et de mon amaigrissement me fragilisant un peu plus chaque jour, le corps médical décide d’arrêter la chimiothérapie et de passer à l’opération. Pour cela cependant, il faut que je reprenne des forces.

Au bout de quelques semaines, le jour de l’intervention arrive et c’est plutôt confiante, me disant que le bout du tunnel était enfin visible, que je me retrouve dans le bloc opératoire. Avant de sombrer dans le sommeil artificiel dû aux anesthésiants, je me dis que je vais enfin pouvoir revivre la vie d’une jeune femme de mon âge, que le pire est derrière moi.

Lorsque, le lendemain, je revois le Professeur qui m’a opérée, je déchante. Il m’annonce que le sport, pour moi, c’est fini. Jamais plus je ne pourrais courir.

Là, le monde s’écroule pour moi. J’ai cru que cette opération allait me permettre de vivre « normalement » et on m’annonce que je vais devoir renoncer à ce que j’aime le plus. Maman arrête de travailler, elle veut être là pour moi, veiller sans cesse sur son enfant souffrant.

La période de rééducation est terrible. Les douleurs restent horribles, et au bout de nombreuses séances de kiné, je n’arrive toujours pas à plier la jambe. Lors d’une consultation de contrôle, le chirurgien me dit que je dois faire plus d’efforts, qu’il n’est pas normal que les choses évoluent si lentement.

Je veux guérir et sur ses conseils je m’applique plus encore, je fais tous les exercices que l’on me prescrit. J’essaie de vivre le plus normalement possible. Je parviens même à passer mon permis de conduire malgré les souffrances qui m’épuisent et me minent. Je suis obligée, pour tenir le coup, de consommer de fortes doses de morphines…morphine

Et puis, lors d’une séance de kiné, le praticien me dit qu’il sent une boule à l’arrière de mon genou. Il me conseille de consulter rapidement afin de vérifier qu’il n’y a rien de grave.

A l’échographie réalisée à l’hôpital, je vois apparaître sur l’écran une masse en forme de trèfle à quatre feuilles. C’est tellement surprenant que j’en prends une photo ! Je n’ai jamais vu ça de ma vie, et visiblement le radiologue non plus.

Le verdict est sans appel, il s’agit d’une récidive, le cancer est à nouveau là !

Il faut m’opérer à nouveau, et vite !

Après l’intervention, le médecin nous convoque, Maman et moi. Il nous annonce que ce qu’il a enlevé est très mauvais, grave, et qu’un risque de récidive n’est pas à exclure.

Il m’explique que dans mon cas, il y a trois solutions. Soit rester comme cela en ayant une jambe raide qui risque d’à nouveau être attaquée par le cancer, soit de procéder à ce qu’on appelle une plastie de rotation, ce qui signifie qu’on me couperait le pied pour le greffer à la place de mon genou. Ou alors on m’ampute la jambe au niveau de la cuisse.

Abasourdie et ne comprenant pas tous les enjeux de ces « propositions », je rentre à la maison et prépare trois feuilles, une pour chaque possibilité décrite par le Professeur.

Après de nombreuses recherches sur Internet, je décide d’opter pour la plastie de rotation. Je l’annonce au Professeur qui me répond que finalement, ce n’est pas le bon choix… Son argument est que, vu mon âge, mon cerveau n’est plus suffisamment malléable pour assimiler le fait que mon pied va en fait devenir mon genou.

Je n’ai plus vraiment le choix, je ne peux plus supporter de souffrir autant, je décide donc de me faire amputer.

Le jour de l’intervention, Maman m’accompagne jusqu’aux portes du bloc opératoire. Je suis effrayée, en larmes. Je me dis que jamais je ne surmonterai ce qui va m’arriver. Maman me rassure : nous nous sommes documentées et avons appris que les prothèses de jambe permettent de nos jours de vivre presque normalement… J’ai su plus tard que, dès que les portes du bloc se sont refermées sur moi, Maman s’est effondrée en larmes, noyée par  l’angoisse.

Lorsque je m’éveille après 5 heures d’opération, alors que j’ai imaginé ne pouvoir supporter la perte de ma jambe, je me sens soulagée. Je fais même une petite blague en disant que ça me fait une belle jambe, tout ça !

Et ma nouvelle vie commence.

Je vis 5 mois de revalidation intense. Je vis la semaine à l’hôpital et rentre le week-end. Je fais des rencontres incroyables, des gens positifs et qui comprennent ce que je vis, vivant eux-mêmes des situations de handicap. Jean-Louis, par exemple, qui a perdu les deux jambes dans l’incendie de sa maison. Lui et moi devenons inséparables. Nous nous présentons comme « le cul de jatte et l’unijambiste : deux personnes et une seule jambe » !

Tous mes amis « d’avant » ont disparu, trouvant des tas d’excuses pour ne pas venir me voir… une partie de la famille a aussi réagi de cette façon-là. Je ne peux pas leur en vouloir, j’imagine que cela devait être difficile d’affronter la situation. Cependant, Maman, Anthony et moi nous sommes sentis fort seuls. Heureusement, Nona et Nono, fidèles piliers, ont toujours été là.

Depuis, je me suis fait un nouveau cercle d’amis, et ceux-là n’en ont que faire de mon bout de moi en moins.

J’ai bien sûr abandonné l’idée de devenir joueuse de foot professionnelle, même si j’ai essayé de réintégrer mon équipe lors des entraînements en jouant en prothèse. Mais c’était trop difficile, je n’avais plus l’agilité d’avant…

J’ai aussi décidé de laisser tomber l’esthétique. Dorénavant, j’ai envie d’aider les autres et là, je commence des études d’éducatrice spécialisée.

J’ai repris le vélo. Maman avait peur, pensait que ça allait être trop difficile mais j’ai acheté des cales pour mes chaussures et malgré quelques pertes d’équilibre au début, je parcours chaque jour une dizaine de kilomètres, ça me vide la tête !

Un jour, un médecin me parle de Leg’s Go, et je décide de contacter Luc pour voir s’il pense pouvoir m’aider à recommencer à courir. Je n’en peux plus de cette immobilité imposée par mon handicap. Tout de suite, il répond présent et me suggère tout d’abord d’utiliser une chaise prêtée par Leg’s Go pour accompagner des personnes qui courent grâce aux prothèses fournies par l’ASBL. Quel bonheur, cela me donne encore plus envie d’essayer de courir.

Bientôt, je vais obtenir ma propre prothèse de course, Leg’s Go va me permettre de redevenir encore un peu plus moi ! Je suis tellement heureuse.

Ma famille et moi avons vécu des choses terribles, j’ai parfois cru ne jamais pouvoir retrouver une vie où je me sentirais bien, j’ai parfois cru sombrer et pourtant… je suis là, nous sommes là et nous avons trouvé notre place au sein d’une belle équipe qui m’encourage, qui nous encourage et qui nous aide à aller plus loin. Il ne faut jamais désespérer, je peux le dire aujourd’hui.

Winston Churchill l’avait dit, et il avait raison « Si vous traversez l’enfer, continuez d’avancer ». J’en suis sortie, et j’ai à nouveau confiance en l’avenir !

ISLAM

Né sans pieds et aujourd’hui aux portes des Jeux !
Tchétchénie, novembre 1998. Mon père, diplômé en droit et Inspecteur de police, est impatient de voir naître ses quatrième et cinquième enfants, des jumeaux, quelle joie !
Mon père, ce bosseur, celui qui malgré l’austérité régnant dans son pays d’origine est parvenu à offrir à sa famille une vie confortable, un vrai héros !
Ca y est, la naissance semble approcher à grands coups de contractions, il est temps de démarrer pour se rendre à l’hôpital.
Quelques heures plus tard, Déni pointe le bout de son petit nez : un beau garçon en pleine santé.
Moi, je suis toujours bien au chaud dans le ventre de ma mère. Et là, c’est mon tour, en route vers la vie, vers ma vie !
Papa est fier comme un paon ! Quatre fils, une fille, ils ont bien travaillé !
Quand le médecin se tourne vers mes parents, pour me présenter à eux, son visage est crispé, grave. Tout de suite, Papa et Maman comprennent que quelque chose ne tourne pas rond.
Je suis un beau bébé, plein de santé les rassure-t-il. Mon coeur bat bien, je respire seul, cependant… cependant je n’ai pas de pieds. Mes deux jambes s’arrêtent à hauteur du genou, mes parents sont effondrés, ils ne comprennent pas. Suis-je malade ? Que s’est-il passé ?
Dans mon pays de naissance, même à l’approche de l’an 2000, les soins de santé ne sont guère aussi performants que ceux que vous connaissez en Belgique. Mes parents apprendront plus tard qu’il est probable que lors de mon développement, le cordon ombilical se soit enroulé autour de mes jambes, ne leur permettant pas de se former entièrement.
En Tchétchénie, pas d’échographie, pas de prothèses non plus…
Mes parents accueillent leurs deux fils, Déni et moi, Islam, en se demandant comment je vais grandir avec ce handicap, en s’inquiétant pour mon avenir, en m’aimant de toutes leurs forces.
Et moi, petit bonhomme n’ayant aucune conscience de ma différence, je grandis au sein de cette belle famille.
J’affiche tout de suite un caractère de battant : je veux tout faire tout seul, je refuse l’aide qui m’est proposée.
Quand Déni commence à marcher, et bien moi aussi ! Je le suis partout “debout sur mes genoux”. Hors de question de me trainer à quatre pattes ou de rester à le regarder s’amuser.
J’ai un mental d’acier. Je veux être le meilleur. Mon handicap n’en est pas un pour moi, je suis né sans jambes et alors ?
Pour Déni, mon jumeau, c’est la même chose, je suis juste son frère. Celui avec qui il partage ses jeux, ses amis. Celui aussi avec qui il se chamaille et se bat même parfois, juste son frère.
Papa et Maman sont heureux de me voir grandir sans que je semble affecté par mon handicap. Cependant, leur inquiétude ne cesse de croître. Comment se passera ma scolarité ? En famille, que je gambade sur mes genoux ne pose pas de problème, mais quand je vais sortir de mon cocon, comment vais-je être accueilli ?
Papa ne peut accepter que son fils ne puisse vivre comme tous les autres enfants. Il cherche, se renseigne, il veut trouver un moyen pour que je sois équipé des prothèses qui me permettront de me tenir debout. Partout, il obtient la même réponse : il ne faut pas espérer trouver ce qu’il cherche dans notre pays.
Papa n’est pas du genre à se résigner. Sa patrie ne peut offrir à son fils de quoi vivre une vie décente ? Soit, ils iront ailleurs.
Des amis de la famille se sont installés en Belgique quelques années auparavant. Papa les contacte, leur demande de s’informer sur ce que la médecine de ce pays pourrait offrir à son petit garçon. Quand il apprend que là-bas je pourrais bénéficier de ce qu’il y a de mieux, il n’hésite pas : nous partons !
Notre vie confortable, le métier de Papa et sa position reconnue de tous, la famille, les amis… Mes parents ont décidé, par amour pour leur petit garçon, de tout quitter. Ils veulent que je grandisse “comme les autres”, aucun sacrifice ne serait insurmontable pour y parvenir. Nous arrivons donc en Belgique lors du changement de siècle, j’ai à peine 2 ans.
Tout de suite, je me retrouve propriétaire d’une petite chaise roulante. Vous me verriez, haut comme trois pommes, déambuler dans mon bolide. Déni peut courir tant qu’il le veut sur ses deux petites jambes bien solides, je suis toujours le premier à l’arrivée.
Et puis, papa et moi rencontrons le prothésiste, Pascal Doison. Quelle drôle de sensation le jour où il m’enfile mes “jambes de remplacement”, le jour où je prends conscience que j’ai la même taille que Déni, le jour où je peux le regarder sans lever les yeux !
Mes parents sont aux anges. Leur petiot va pouvoir avancer dans la vie sans être amoindri par sa différence.
Moi, je préfére ma chaise : c’est bien plus drôle de dépasser tout le monde. De plus, la structure de l’école dans laquelle j’ai été intégré comme élève me permet de me déplacer assis sans le moindre souci. Alors, à quoi bon me balader sur ces deux prothèses ? Elles me semblent si contraignantes : ça serre, ça blesse parfois…
Mon frère aîné, Roustam, n’arrête pas de me houspiller pour que je les porte, ces “fausses jambes”. Il me dit que vivre en chaise roulante, ça va m’apporter toutes sortes de désagréments. “Tu feras quoi, hein, quand tu seras en bas d’une volée d’escaliers sans ascenseur ? “ “Comment réagiras-tu quand tes copains iront se balader là où tu n’auras pas accès avec ton carrosse ?”. Je hausse les épaules. On verra le jour où la situation se présentera. Un enfant, ça vit l’instant présent, demain, pour lui, c’est loin !
Rapidement, les médecins belges constatent que les os de mes jambes continuent à grandir. Ma peau, non. Du coup, je risque de me retrouver avec de graves soucis. Ils n’ont pas le choix, il faut m’opérer dès que mon tibia devient trop grand pour l’enveloppe qui le recouvre. Je fais donc régulièrement des séjours à l’hôpital. Ca non plus, ça ne me pose pas de problème : je vous l’ai dit, j’ai un mental d’acier ! Je suis opéré 5 fois sur 15 ans, et ce n’est sûrement pas fini. C’est comme ça ! Me lamenter ne me permettra pas d’avancer, alors…
Jusqu’à mes 17 ans, malgré les implorations de Maman, les conseils de Papa, les invectives de Roustam et les recommandations de mon prothésiste, je préfère me déplacer en chaise roulante.
Tout est bien pour moi : j’ai plein de copains, je suis bien intégré en classe, j’ai trouvé un club de natation où les sportifs ont tous un souci de mobilité. Pourquoi m’embêterais-je avec ces prothèses qui sont plus pénibles à supporter qu’autre chose ? Je les porte quand je dois être “élégant” : les mariages et autres fêtes…
Ah oui, je m’en suis servi aussi pour faire une blague à une de mes professeures. Il faut que je vous raconte cette anecdote. Je crois que tout ceux qui l’ont vécue s’en souviendront éternellement. Mon père, malicieux à ses heures, a eu un jour l’idée de jouer un tour à cette institutrice et s’est présenté devant elle avec mon jumeau, Déni, avec qui nous nous ressemblons comme deux gouttes d’eau. Elle n’était pas au courant de son existence et en “me” voyant arriver debout, et avec deux jambes, elle a été complètement désarçonnée, criant au miracle. Quand mon père a constaté qu’elle pouvait en faire un malaise, il m’a appelé, je suis arrivé, debout, moi aussi, sur mes prothèses ! La pauvre, qui m’avait toujours côtoyé alors que je me déplaçais en chaise, a eu l’impression d’y perdre son latin. Vous voyez, mon handicap n’est pas vécu comme un drame dans la famille !
Et puis, un jour, je rencontre Frédéric. Il entraine une équipe de natation de la région et en me voyant nager, il repère chez moi les qualités d’un athlète qui peut aller loin. Moi, comme je vous l’ai dit, j’ai toujours voulu me dépasser, j’ai toujours voulu être le meilleur, j’ai toujours voulu être plus fort que le handicap. Fred et moi ça colle donc tout de suite. Il me dit qu’il va faire de moi un champion, je lui dis que je vais faire tout ce qu’il me dit pour y parvenir.
Je me retrouve du coup dans un club de valides. Pas de souci, je n’ai jamais eu le moindre problème pour trouver ma place. Sauf que… sauf qu’au bord de la piscine, à côté de ces grands gaillards tous debout, je me sens vraiment très différent. Je me déplace sur mes genoux, comme je l’ai toujours fait pour me rendre au bord de l’eau, mais contrairement à ce que j’ai toujours vécu, ici, je me sens différent des autres.
Je commence donc à porter mes prothèses. Je constate que la gêne physique ressentie en les portant diminue avec le temps. Finalement, être debout et à la hauteur des autres comporte de nombreux avantages.
Fred me concocte un programme d’entraînement qui me permet d’évoluer, d’évoluer encore et d’arriver à un niveau qui laisse espérer que je pourrai participer aux prochains paralympiques : j’y arriverai, j’en suis sûr ! Je m’entraine 12 fois par semaine pour ça, j’ai la hargne, je veux y arriver !
Pour arriver aussi haut, il est nécessaire que j’arrive à avoir des muscles solides, notamment au niveau des jambes. Mes coéquipiers s’entraînent en course à pied afin de développer plus de force. Ca, cela n’est pas possible pour moi. Mes prothèses me permettent de bien marcher, mais de là à courir… Et là, il y a la rencontre avec Luc, grâce à mon prothésiste. J’ai expliqué à Luc ma situation et il m’a dit : Leg’s Go va t’aider ! Grâce à eux, j’ai dorénavant deux prothèses avec lesquelles je cours chaque jour, et je vous assure que ça fait un bien fou ! Parfois, je cours avec mes frères et là, c’est le vrai bonheur !
Vous verrez, je montrerai à mes parents que leurs sacrifices n’ont pas été vains. Pour la vie qu’ils m’ont donnée, la chance qu’ils m’ont offerte d’être comme les autres malgré ma différence, je leur serai éternellement reconnaissant. Eux aussi, ce sont de vrais champions. Ils ont eu le courage de tout laisser dans le pays dans lequel ils ont vu le jour, ils sont parvenus à faire de leurs enfants des personnes autonomes et ayant dans les mains ce qu’il faut pour avancer vers une vie confortable : Roustam est devenu prothésiste en Suisse, Saikhan va devenir médecin, Imani, leur unique fille, travaille dans le tourisme. Quant à Déni et moi, les jumeaux, nous allons bientôt être kinésithérapeutes.
Je m’appelle Islam, je me tiens debout, je suis un athlète de haut niveau, je porte des prothèses et je crie haut et fort : “Il y a ce que la vie t’a donné, et il y a ce que tu en fais !”

DYLAN

17 mai 1992, je pousse mon premier cri et j’ouvre les yeux sur le monde. Je suis Dylan.
J’ai toute une tribu de frères et sœurs, il y a Mélanie, Andy, Kevin, Lindsay et puis Brandon. C’est rare une aussi grande famille, chez nous, c’est animé. Ca bouge tout le temps, vous pouvez me croire !
Moi, je n’ai jamais aimé les études, je préfère de loin travailler de mes mains que d’apprendre mes leçons par cœur. Et puis j’ai besoin de bouger. Rester assis toute la journée, très peu pour moi, brrrr !
Très tôt, j’ai aimé travailler en hauteur, ça me fait vibrer. Réparer des toits endommagés ou mieux encore, en créer un sur une toute nouvelle maison, j’adore ça ! Couvreur, c’est un métier dans lequel on voit ce qu’on fait, c’est ce qui me convient.
Welkenraedt, juin 2016. C’est la fête ? Par ici on appelle ça la kermesse. Avec mes copains, tous dans la vingtaine, on s’amuse, on rit, on danse, on boit un coup. On est jeunes et on en profite ! C’est le début de l’été, ça sent les vacances, la musique est terrible, les filles jolies…
La tête me tourne, j’ai trop bu, mais bon, quelle importance ! Andy mon frère, mon presque jumeau car il a à peine un an de moins que moi, passe la soirée avec des copains et a promis qu’il viendrait me chercher. Je n’aurais donc pas à conduire, pas de danger…
Le temps passe, pas d’Andy… J’attends, je tourne en rond… toujours pas d’Andy.
Bon ben va pourtant bien falloir que je rentre, je ne me vois pas parcourir les 15 km jusqu’à la maison à pied. J’appelle Andy. Il s’amuse, il n’a pas envie de rentrer maintenant, il est avec ses potes, il ne viendra pas… J’enrage ! J’appelle maman.
Elle est toujours là pour nous, Maman, et même en pleine nuit, elle vole à mon secours.
Je suis très énervé. J’en veux à Andy : ça me met vraiment en colère qu’il ne vienne pas me chercher, il m’avait promis qu’il viendrait !
J’ai vraiment les nerfs en pelote, j’enrage. Maman essaie de me calmer, mais je « pars en vrille » comme on dit. L’alcool n’arrange rien bien sûr. Maman tente de me raisonner, mais ça m’énerve encore plus, je quitte la voiture, je claque la portière et je m’en vais, à pied…
Je me mets en route, dans la nuit, tout seul, titubant un peu sous l’effet de l’alcool.
Je suis claqué, vraiment fatigué et cette route est si longue, je n’en peux plus.
Une idée surgit, une de ces pensées que, par la suite, on regrette toute une vie…
Si je traverse les rails du chemin de fer, je gagne au moins 1⁄4 d’heure… y a personne, c’est la nuit, j’risque rien.
J’avance, la démarche hésitante. Je n’y vois pas grand-chose et je trébuche dans un rail. Je m’effondre, tout seul, face contre terre, dans l’obscurité la plus totale. Je perds connaissance, je sombre dans un trou noir !
Combien de temps ? 1 minute ? 10 minutes ? Une demi-heure ? Je n’en ai pas la moindre idée.
Un grondement suivi d’un vacarme assourdissant me réveille, et je comprends…
Je comprends qu’un train vient de me rouler dessus. Un train m’a écrasé et a continué sa route, le chauffeur ne m’a apparemment pas vu.
Je n’ai pas mal, je suis juste sonné, comme pétrifié.
J’essaie de me relever, mais c’est impossible, je n’y arrive pas…
A quelques mètres de moi, je vois briller l’écran de mon téléphone, il faut que je l’attrape, j’y mets toute mon énergie, mais je ne peux pas me mettre debout.
Je sais que si je n’arrive pas à appeler les secours, au matin, on va me retrouver mort, comme un animal écrasé sur une route, et j’ai 24 ans !
Je vais mourir, je le sens, je m’enfonce. Dans un dernier sursaut, je rassemble mes dernières forces et je rampe, à la force de mes bras. En hurlant, je parcours la distance qui me sépare de mon GSM.
Ca y est, je l’ai en main. En composant le numéro des secours, je recommence à espérer, peut-être qu’ils arriveront à temps, peut-être que je vais continuer à vivre.
J’ai l’impression que l’ambulance met un siècle pour arriver.
Je suis là, tout seul, dans le noir, je crie « Je ne veux pas mourir ! ».
Je vois des lumières bleues qui se rapprochent, je suis sauvé ! Quelqu’un me dit « On est là, ça va aller, maintenant… »
Je me laisse aller, je me remets entre les mains de mes sauveteurs, je suis si fatigué.
Quand j’ouvre à nouveau les yeux, je suis couché dans un lit, dans une chambre toute blanche.
Je suis vivant, je vais bien ! Je bouge et je parviens à remuer mes bras, mes mains, mes jambes, mes pieds…
Vous parlez d’une chance ! Ecrasé par un train et entier ! Comme un super-héros!
Dans la chambre, il y a un homme vêtu d’une blouse blanche qui me regarde un sourire bienveillant sur les lèvres.
Il s’approche de moi et doucement, il retire le drap qui me couvre.
Je baisse les yeux et là… je vois… Je n’ai plus de pieds. J’ai des bandages qui me couvrent les deux genoux, et ces pansements s’arrêtent quelques centimètres plus bas. J’ai laissé mes deux pieds sur les rails. Ce train m’a amputé…
Pendant trente minutes, je n’arrive plus à prononcer le moindre mot. Dans ma tête, plein de choses défilent : ça va être quoi, ma vie, maintenant ? Fini le boulot sur les toits, finies les déconnades entre potes, finie la drague. Je suis devenu handicapé, et pas qu’un peu !
Le médecin commence à me parler, il m’explique que quand je suis arrivé à l’hôpital, on m’a opéré pour me faire des moignons corrects ! Des moignons, quel horrible mot !
Il me dit aussi que je ne dois pas m’en faire ! J’ai gardé mes genoux ! Je vais pouvoir être équipé de prothèse et je vais apprendre à remarcher. Je vais retrouver une vraie vie me dit- il, « Ca va aller ! ».
Au bout de trois mois, je quitte l’hôpital et je rentre chez maman. Elle a du mal, Maman, elle s’en veut. Elle me dit souvent qu’elle est responsable, qu’elle aurait dû me retenir quand j’ai claqué la portière quand elle est venue me chercher à la kermesse. Mais non, ce n’est pas elle la coupable, c’est la vie, c’est du « pas d’bol ». Ça devait arriver et c’est arrivé !
Bon, c’est pas simple tous les jours, la maison n’est pas adaptée à ma situation, mais je m’y suis fait.
Je n’arrive pas encore à rester debout très longtemps, ni à marcher de longues distances, mais je m’adapte. J’arrive à monter les escaliers, maintenant et puis, arrivé à l’étage des
chambres, je m’assieds dans ma chaise roulante. J’ai dû être opéré à nouveau, on m’a enlevé 9 centimètres de nerf, car j’avais l’impression d’avoir un pied coincé dans un étau, on appelle ça des douleurs fantômes.
Ma vie n’est plus celle d’avant, mais je suis vivant !
Je pense beaucoup, je me pose un millier de questions ! Il faut que j’avance, il faut que je trouve un métier que je pourrais exercer malgré mes deux bouts de jambe en moins.
Il faut que je bouge, je viens d’avoir 25 ans, je refuse d’avoir une vie de vieil homme, je refuse !
J’ai fait du tri dans ma vie, en fait, mon accident l’a fait pour moi : mon entourage s’est dispersé, seuls les meilleurs sont restés. Les vrais amis sont là et sont toujours derrière moi à m’encourager quand je flanche… Et puis il y a Andy, mon frère, mon presque jumeau, on est devenus vraiment soudés. Je sais que je peux vraiment compter sur lui, il est mon pilier !
Et puis, j’ai compris que l’alcool, ça n’amène rien de bon ! Ce poison m’a coûté très cher, et le montant de la dette aurait pu être encore plus élevé ! C’est fini, je ne touche plus un verre, j’ai compris la leçon !
Et puis, parfois, la vie vous fait un clin d’œil, un peu comme si elle voulait se rattraper de ce qu’elle vous a enlevé.
Au centre de revalidation, j’ai rencontré un jeune gars de mon âge qui a perdu une jambe dans un accident de moto : Sonny.
Sonny, c’est un sourire ambulant ! Il m’a dit « Dylan, je vais te présenter des gens, je vais te faire connaître quelqu’un qui pourra t’aider. T’as envie de bouger, Dylan ? T’as envie de faire du sport ? Tu vas voir que tout est possible »
Et là, tout s’est enchaîné, Luc Huberty, de l’asbl « Leg’s Go » m’a appelé, il m’a expliqué qu’il avait perdu une jambe, au-dessus du genou pour lui, et que malgré ça, il fait plein de sport : il roule à vélo, il nage comme un poisson et il court. Il court, c’est dingue ça !
Je suis sûr que le sport va pouvoir m’aider à sortir de là où je suis et où je ne veux plus être.
Luc m’a proposé de participer aux 20 km de Bruxelles. En chaise roulante bien sûr. Je souffre beaucoup trop pour pouvoir marcher une telle distance, alors courir….
Et j’ai dit oui, et je les ai parcourus, ces 20 km, accompagné de Marc et de Sonia, deux coureurs qui m’ont aidé à faire 20000 mètres au cours desquels j’ai été encouragé, acclamé même par un tas de personnes, c’était magique ! J’existais, on me voyait, on m’admirait !
Maintenant, je sais que je peux m’en sortir, que la vie peut être belle, même si je ne serai plus jamais le Dylan d’avant…
Et puis maintenant, j’ai un vrai projet : dès que mes bouts de jambes seront en meilleur état, je vais essayer des prothèses de courses, grâce à Leg’s Go.
Je vais être comme Pistorius, monté sur des ressorts.
Je vais vous montrer, je vais prouver au monde qu’à 25 ans, avec de la volonté, avec la gniak, avec du courage, avec ou sans pied, on peut faire de grandes choses !
Et un jour, je pourrai dire : « Ça n’a pas été facile, mais j’ai réussi » ! Je suis Dylan et je suis vivant !

HENRY

Bonjour, moi c’est Henry, …
On me demande souvent ce que ça fait de vivre avec une jambe en moins… Il m’est impossible de répondre à cette question, je n’ai jamais eu deux jambes…
Que s’est il passé ? Un accident de la vie, une erreur de calcul de l’existence, enfin de préexistence car ce grain de sable est intervenu alors que je n’avais pas encore vu le jour. Maladie des brides amniotiques, vous connaissez ? Non ? pas étonnant, c’est assez rare et c’est tant mieux… En fait, ces brides sont des “cordes” qui se forment durant la grossesse et viennent “ficeler” certaines parties du corps du bébé.
Moi, j’ai eu de la chance, il n’y a que ma jambe, un pied et mes mains qui ont été touchés, d’autres nouveau-nés ne survivent pas à cette maladie.
Mauvaise, très mauvaise surprise donc, pour mes parents lorsque je suis né. Bah oui, le médecin n’avait rien vu à l’échographie… Mon papa a eu du mal à le croire, ça a failli dégénérer en vraie bagarre quand j’ai pointé le bout de mon nez… Mouvementée, mon entrée dans la vie !
Bon, ben l’amputation s’imposait, ma jambe était nécrosée, un de mes doigts et un de mes orteils aussi. On a coupé, donc.
J’ai grandi entre mes parents et mes quatre frères. Moi, ça ne me gênait pas trop d’être différent, je n’ai jamais été autrement. Pour mes frères, ce n’était pas perturbant non plus, il n’avait jamais connu un Henry “complet”. Qu’est ce qu’ils ont pu s’amuser à cacher ma prothèse avant que je me lève, le matin, et à me dire “allez, cherche maintenant”. Et moi ça me faisait bien rire, tout était si naturel.
Pour mes parents c’était plus compliqué. Culpabilité quand tu nous tiens, et pourtant ils n’ont aucune responsabilité dans cette histoire, un grain de sable je vous ai dit, un accident…
J’ai grandi, en même temps que ma prothèse. Bah oui, vous quand vous grandissiez on vous achetait de nouveaux vêtements, de nouvelles chaussures, moi j’avais en plus une prothèse à changer dès que je prenais quelques centimètres.
Mon enfance ? C’était sympa, mes copains de classe me posaient les questions qui leur venaient à l’esprit, les profs interrogeaient mes parents… Ado, ce fût un peu plus compliqué… Les filles, elles allaient réagir comment, hein ? Et puis ces moments de solitude quand les équipes se formaient, à la gym et qu’on me disait : Henry, tu rangeras les ballons hein, on ne va tout de même pas te faire jouer au basket… Et bien si, j’aurais aimé essayer, moi !
Je me suis toujours senti normal… je suis normal d’ailleurs. Ce qui l’est moins, c’est le regard des autres. J’ai compris maintenant qu’il y a rarement de la méchanceté dans les yeux de ceux qui me dévisagent, c’est plutôt de la curiosité. Chouette, ça me permet de leur expliquer ce qui m’est arrivé, c’est sain, ça !
Je suis devenu instit, j’ai toujours adoré les enfants, ils sont si naturels, eux, c’est si facile de leur expliquer ce dont je souffre. Parfois, je leur montre mon doigt manquant et je leur explique que j’ai déjà planté une graine pour qu’il repousse mais que ça ne fonctionne pas, ça les fait rire, et moi, de les voir rire, ça me comble.
Il y a presque deux ans, je suis allé au théâtre et là, stupéfaction : j’ai vu une jolie nana qui se baladait en jupe avec une prothèse rose à paillettes ! Mathilde ! Mathilde a révolutionné ma vision de notre handicap : moi aussi j’ai fait de ma prothèse un accessoire. Grâce à mes prothésistes j’ai pu choisir son “habillage”. Alors, je me suis dit : joue au pirate Henry, et j’ai choisi de recouvrir ma jambe avec un “décor bois”… ça fait jambe de bois, c’est chouette !
Et puis grâce à ces prothésistes, j’ai rencontré Luc, j’ai intégré Leg’s Go, l’association qui a financé ma prothèse en carbone. Et, j’ai encore du mal à le croire mais c’est pourtant arrivé : j’ai parcouru les 20 km de Bruxelles en mai dernier, moi, celui qu’on mettait de côté à la gym ! Et comble de bonheur… je me suis retrouvé à cette course en compagnie de Pierre Denis, mon super héros quand j’étais petit : cet athlète amputé qui courait aussi vite que l’éclair.
Je suis heureux, vraiment heureux. J’ai rencontré il y a 4 ans ma douce Marine. Pour elle, je suis Henry, l’homme qui partage son quotidien, son complice, son “homme”, pas un “incomplet”, j’ai besoin de ça, j’ai besoin de vivre une vie sans restriction, c’est ma revanche sur ce grain de sable ! 

JASON

Bonjour, moi c’est Jason, j’aurai 28 ans en janvier prochain.
Mes parents ont élevé 4 enfants : Mélanie, Rodrigue, moi, Jason, et ma petite sœur Ophélie, née 10 ans après moi et nous ont inculqué des valeurs qui me semblent parfois en voie de disparition : l’amour du travail bien fait (papa a créé une entreprise de plafonnage au sein de laquelle Rodrigue et moi avons été embauchés), la générosité, la solidarité. Nous sommes une famille très unie !
Rodrigue et moi avons toujours eu en commun la passion de la moto. Pas la « moto n’importe comment », non, la moto admirée pour la beauté de l’objet, pour sa mécanique parfaite. Et puis, je ne sais pas si vous le savez, mais la communauté des motards, c’est aussi une grande famille pleine de valeurs où on s’entraide, se respecte, se salue quand on se croise, répond présent quand l’un d’entre nous est dans le besoin. C’est donc sans la moindre hésitation que mon frère et moi avons accepté d’être préposés à la sécurité lors de la randonnée moto organisée au profit du Télévie le 14 avril 2007. Pensez donc, j’avais eu 18 ans en janvier et on me demande de jouer un « rôle clé » dans une telle organisation ! Le Télévie c’est un peu un hymne à la vie, j’étais fier comme Artaban, comme on dit !
Ce dimanche-là, après avoir appelé ma fiancée Mélanie pour la rassurer et lui répéter que j’allais être prudent, Rodrigue et moi avons enfourché nos bécanes et avons rejoint le groupe d’une septantaine de motards pour cette belle balade.
Moi, j’ai été désigné comme « ouvreur de route ». Mon rôle, c’était de bloquer les voiries pour que le groupe puisse passer en sécurité. Arrivé à la « route des barrages », très prisée par les amateurs de deux roues, j’ai remonté la file de motos pour aller me poster au carrefour suivant. Je me suis rabattu sur la bande de droite et, à environ 70 km/h, me suis dirigé vers le haut de cette longue route… Tout à coup, je me suis retrouvé face au phare d’une moto qui se rapprochait à toute vitesse, droit sur moi… J’ai fait tout ce que j’ai pu pour éviter ce bolide, j’ai dévié vers la gauche, mais malgré cette manœuvre, le motard m’a fauché, me percutant de toute sa vitesse, de toute sa puissance au côté droit.
J’ai été éjecté loin, très loin de la route. Pas une seconde, je n’ai perdu connaissance. J’ai vu ma jambe droite déchiquetée et retournée sur mon épaule gauche ! J’entendais des hurlements au loin et j’avais tellement peur que Rodrigue ait été accidenté, lui aussi… Je criais son nom de toutes mes forces ! Une infirmière, par chance présente sur place, me prodiguait les premiers soins, des gens me disaient de ne pas fermer les yeux, de ne surtout pas m’endormir. Moi, je voulais voir Rodrigue, et je voulais appeler Mélanie, je voulais lui parler, lui dire au revoir… Et mon frère est arrivé, il était sain et sauf. Il m’a dit « ça va aller, Frère », il m’a pris la main et ne l’a plus lâchée jusqu’à l’hôpital. Il m’a dit de me calmer, il allait appeler Mélanie. 
L’ambulance a eu du mal à parvenir jusqu’à moi, il était difficile de circuler, plusieurs motards avaient été renversés par celui qui était arrivé en sens inverse. Ces grosses cylindrées s’étaient transformées en véritables quilles sous la lancée d’une énorme boule… chutes en cascade, 4 blessés graves et un motard de 49 ans tué sur le cou ! Un carnage ! Une tragédie !
A l’hôpital, un chirurgien m’a expliqué que ma jambe droite avait été complètement détruite, on pouvait tenter de la reconstruire, cependant, plus jamais je ne pourrais remarcher sans une assistance. Ou alors… ou alors on me la coupait, cette jambe abimée. « Avec les prothèses actuelles, m’a-t ’il dit, vous remarcherez pratiquement sans boiter ».
J’avais 18 ans, et on me demandait de faire un tel choix. Je me suis tourné vers celui en qui j’avais la plus totale des confiances, mon grand frère, Rodrigue, qui avait 24 ans à l’époque : « Tu ferais quoi, toi ? »
Il a plongé ses yeux dans les miens, et il m’a dit « moi, je ne voudrais pas me retrouver à souffrir et à me déplacer avec deux cannes. Je crois, Jason, que j’accepterais qu’on m’enlève cette jambe qui ne servira plus à rien… » Et alors, parce que je savais que mon frère m’aimait autant qu’il s’aimait lui-même, et que son conseil était prodigué avec tout cet amour, je l’ai écouté, j’ai dit « OK, coupez-moi la jambe ».
Ça va vous étonner mais je n’ai pas sombré après m’être réveillé avec ce bout de moi en moins…
Non, j’avais 18 ans, j’avais de la chance d’être toujours en vie. Mon copain, ce motard de 49 ans n’avait pas eu cette chance, lui !
Et puis, ils étaient tous là, mes parents, ravagés de douleur mais présents, avec l’amour inconditionnel dont seuls sont capables ceux qui vous ont donné la vie… Et ma grande sœur, et Rodrigue, mon pilier, et puis ma petite sœur de 8 ans et puis ma fiancée, celle que j’aimais depuis 5 mois à peine, et qui n’avait que 16 ans. Mélanie qui par amour est restée, m’a soutenu, m’a aidé à poursuivre ma route. Et puis ses parents, qui ont toujours été là pour nous, qui ont accepté notre histoire, malgré tout, malgré ce handicap qui surgissait dans nos vies… 
Les amis aussi, ils étaient là, les motards, les copains du village, les autres, ils envahissaient ma chambre de leurs rires, de leurs encouragements… Et puis, les uns après les autres, ils ont cessé de venir. Est-ce le rythme de leur vie qui a provoqué cela ? Est-ce que, leur curiosité satisfaite, j’ai perdu tout intérêt à leurs yeux ? Est-ce la peur qui les a éloignés de moi ? Je ne sais pas, je n’ai pas compris, je ne comprends d’ailleurs toujours pas ! 
Ma famille, elle, est restée, nous sommes devenus encore plus soudés ! Avec ma belle-famille, Angelo, Véro, Tony, Christelle, Anthony et les autres, qui se reconnaîtront, nous avons formé un véritable clan… tous ensemble, pour toujours !
Après 67 jours d’hospitalisation et une nouvelle opération où on a dû recouper 5 cm de ma jambe amputée suite à une infection, je suis rentré chez moi et j’ai appris à vivre … sur une jambe !
Mélanie était là, petit bout de femme aimante, et toujours prête à sourire quand elle pensait que je risquais de sombrer. 
Rodrigue était toujours près de moi. Il me donnait une tape dans le dos quand il sentait que je faiblissais, il me disait « ça va aller, Jason, on est là, avec toi ». Mes proches m’encourageaient, me disaient que j’étais fort, qu’avec mon caractère, j’arriverais à surmonter « tout ça » !
J’ai très vite voulu reprendre ma place dans l’entreprise familiale… Mais le handicap dont je souffrais ne me permettait plus d’aider mon père et mon frère dans leurs travaux de plafonnage. J’ai dû déclarer forfait ! Je n’avais pas encore 19 ans, je n’allais tout de même pas devenir un invalide inactif, non ! Six mois après mon accident, j’ai repris une formation en dessin industriel et au bout de 18 mois, j’ai trouvé un job ! J’ai emménagé dans un petit appartement, j’avais soif d’indépendance, soif de vivre ! Toujours entouré des miens, toujours en couple avec ma douce Mélanie qui m’a bientôt rejoint pour une jolie vie à deux… La vie reprenait ses droits !
Mais, vous savez, parfois, le destin ne vous épargne pas, même si vous lui avez déjà payé un lourd tribut… Le jour du sixième anniversaire de mon accident, le 14 avril 2013, l’horreur nous a frappé, ma famille et moi… 
Six ans plus tôt, jour pour jour, j’avais été amputé d’une jambe et, ce jour-là, j’ai perdu une partie de mon cœur : celui qui avait toujours été là pour moi, celui qui m’avait pris la main et ne l’avait pas lâchée… Mon frère, Rodrigue s’est tué… dans un accident de moto !
Là, je vous l’avoue, et je suis sûr que vous le comprendrez, nous nous sommes tous écroulés, la famille et moi, comme un château de cartes à qui on enlève un élément essentiel et qui du coup, s’effondre…
Ça a été douloureux, difficile, ça l’est toujours… Mais, la main dans la main, nous avons continué à vivre, en mémoire de Rodrigue, lui pour qui la famille avait toujours été ce qu’il y avait de plus cher. Pas un jour ne passe sans que nous pensions à lui… 
Pour tenir le coup suite à ces drames, j’ai décidé de prendre ma santé en main, notamment en faisant du sport. Avec Mélanie, que j’ai épousée entre temps, nous avons acheté un vélo, j’ai tout de suite adoré ça ! 
Et puis il y a eu les jeux paralympiques, et ces athlètes amputés qui couraient… comme des gazelles… Mon prothésiste m’a d’emblée expliqué que le prix des prothèses de course était excessivement élevé… ce ne serait donc pas pour moi ! Mélanie, avec son éternel bon sens et son optimisme sans faille, m’a dit : « Et si tu essayais de contacter la fédération des jeux paralympiques ? Il y a peut-être moyen de racheter la prothèse d’un athlète qui arrêterait la course… ». Je l’ai écouté, et là-bas, on m’a dit de prendre contact avec Luc Huberty, qui avait créé une association pour les personnes qui comme lui, comme moi aussi, avaient perdu une jambe et avaient envie de courir, de pratiquer ce sport qui, jusque-là, leur était inaccessible… Je l’ai fait, j’ai contacté Luc, il m’a fait essayer une prothèse de course à pied et ça a été magique ! Maintenant, nous travaillons ensemble pour récolter les fonds qui permettront d’acheter la lame en carbone avec laquelle je pourrais courir… 
Tu vois, Rodrigue, je ne baisse pas les bras, j’avance, pour toi, pour nous, je ne renoncerai jamais !
Toi, Rodrigue, et vous Papa et Maman, toi ma sœur Mélanie, ton mari François et vos deux enfants Yanis et Louane, toi ma petite sœur Ophélie et puis toi, ma femme, Mélanie, et vous, ma famille par alliance, Angelo, Véro, Anthony, Tony, Christelle, les enfants et tous les autres, sachez que je vous aime fort, de tout mon cœur et je vous promets que ma première course « à une patte », je la ferai en pensant à vous à chaque pas et j’arriverai au bout, parce que je ne renoncerai jamais ! 

SOPHIE

7 mars 2010, le carnaval bat son plein. J’adore cet évènement, j’ai toujours adoré ça ! C’est la fête, la vraie, tout le monde s’amuse, ça rit, ça danse, ça chante. Ce carnaval est le dernier de la saison, je ne le raterais pour rien au monde !
J’ai 16 ans et la vie devant moi. Des tas d’amis, des tas de projets, je suis heureuse et ça se voit, mon sourire en est la preuve !
Nous avons tous un peu trop bu. Quand on a notre âge, l’alcool, lors d’une fête, c’est un peu comme un passage obligé, une garantie de s’amuser… On n’est pas toujours très réfléchi quand on a 16 ans ! Je grimpe sur le char, assise à l’avant du tracteur, et on démarre. Nous avançons doucettement dans le cortège. Il y a monde de fou, quelle ambiance !
Vers 17h, un bruit gigantesque retentit. Apparemment, il y a eu un accident… Moi, je n’ai rien vu, je profite de la fête. Mon ami, Joévin, qui se trouve derrière moi, me demande si ça va. Pourquoi me demande-t-il cela ? Bien sûr que ça va, je m’amuse !
Tout à coup, je ne sais pourquoi, les personnes qui se trouvent sur le char que nous suivons se mettent à hurler. J’en vois même certains qui tombent dans les pommes ! Je ne comprends pas ce qu’ils crient. Et puis, devant moi, je vois cette fille… Même si je vis cent ans, je n’oublierai jamais son regard et son cri de terreur « Ta jambe, Mon Dieu, ta jambe ».
Quoi, ma jambe ? Je me penche, et là, je comprends… Il y a bien un problème, et pas un petit problème…
Ma jambe est pleine de sang, en lambeaux. Elle semble arrachée et ne tient plus que grâce à mon collant. Elle a été broyée quand les deux tracteurs sont entrés en collision… La petite échelle bricolée pour permettre aux fêtards de grimper sur l’autre char s’est transformée en véritable lame de rasoir, me sectionnant l’artère fémorale.
Je lève les yeux, je regarde Joévin et je dis « Ça ne va pas ! ». Il saute du tracteur et, aidé d’un autre ami, il me porte sur le sol. J’ai l’impression d’assister à une scène de film. Je reste consciente sans vraiment comprendre ce qu’il se passe… Mes amis sont en larmes, un tas de personnes courent dans tous les sens… La chemise blanche de Joévin est devenue rouge, et c’est mon sang qui l’a colorée ! Un médecin qui participe à la fête se précipite et comprime cette artère déchiquetée. Je ne panique pas, je me dis qu’on va me plâtrer et puis que je reviendrai poursuivre la fête avec mes amis.
Quand les secours arrivent, je leur demande de ne pas prévenir mes parents : j’ai bien trop peur de me faire disputer et d’être privée de sortie ! On me plonge dans le coma… Ma vie ne tient plus qu’à un fil, j’ai perdu tellement de sang… Un médecin appelle ma famille, et leur dit que je risque de ne pas m’en sortir. Il leur conseille de venir me dire au revoir… Imaginez : j’ai 16 ans et mes proches, désespérés, me disent au revoir, me murmurent leur amour…
Et puis, parce que parfois, on est plus fort que tout, même que la mort, au bout de quelques jours, je sors de ce sommeil artificiel. Mon heure n’est pas venue, je reviens parmi les vivants !
La semaine qui suit l’accident, on m’amène chaque jour au bloc opératoire, pour refaire mes pansements ! Les médecins m’expliquent qu’ils vont tout faire pour sauver ma jambe. Mais à quel prix ! Avant chaque opération, ils me préparent à l’amputation : « Ta vie primera sur ta jambe ! » Combien de fois l’ai-je entendue, cette phrase…
Chaque soin est une vraie torture, ça dure un temps fou. Je n’en peux plus de ces blouses blanches, de ces aiguilles, de ces cliquetis d’engins métalliques qu’on pose sur un plateau après nettoyé mes plaies…
Heureusement, ma famille, Joévin et mes amis, me rendent très souvent visite. Leur soutien me permet de tenir le coup. Un jour, Mathilde me contacte. Elle a été amputée suite à un accident à 15 ans, tout comme moi. Mathilde m’explique qu’on peut être jolie, joyeuse, sportive et pleine de vie sur une seule jambe… Elle me dit de lui faire signe, si j’en éprouve le besoin.
Le week-end suivant mon accident, comme les soins intensifs sont en personnel réduit, on ne me descend pas au bloc. On refera mes pansements lundi, pas de risque, on surveille «tout ça » ! J’ai une drôle de sensation, comment vous dire, un peu comme s’il y avait de l’air sous la peau de ma jambe… ce n’est pas douloureux, non, juste très bizarre, endolori… Et puis il y a cette drôle d’odeur, cette très mauvaise odeur.
Le lundi, on me transporte dans un autre hôpital pour me greffer un muscle. Quand le chirurgien enlève mes pansements pour me préparer pour l’opération, il comprend très vite que plus rien ne pourra sauver ma jambe. La gangrène a commencé son sale boulot : elle est en train de me prendre cette jambe et s’il ne l’arrête pas, elle me prendra la vie !
Le mardi 16 mars 2010, avec beaucoup de tact, mais sans cacher la vérité, ce médecin me dit qu’il n’a plus le choix, qu’il doit m’amputer. Je pleure, je hurle : « J’ai seize ans et vous allez me couper la jambe. NON ! Que vais-je devenir ? Une adolescente handicapée ? Ça va être quoi, ma vie, à partir de demain ? ». Je suis désespérée, je ne veux pas imaginer ce que va devenir mon existence ! Finie l’insouciance, finies les sorties, fini le bonheur ! Il aurait mieux valu que je reste dans ce foutu accident !
Heureusement, Joévin, que j’appelle en pleurant me calme « Soph, ça va aller, tu ne vas pas mourir, tu vas pouvoir encore faire plein de choses, même sur une jambe, tout ne s’arrêtera pas, on sera là, on sera avec toi, on ne te lâchera jamais. Il vaut peut-être mieux qu’on te coupe cette jambe plutôt que d’être opérée des tas de fois sans garantie de réussite ! ». Il ne saura sans doute jamais à quel point ses mots m’ont permis de tenir le coup !
Reboostée, je prends mon courage à deux mains et j’appelle mes parents. Ils s’effondrent… Je les rassure : ça va aller !
Après 8 heures au bloc, je m’éveille en proie à une souffrance insupportable. Mes parents et ma sœur assistent, horrifiés et impuissants, à mes cris de douleur. J’essaie d’être forte pour eux… Et puis, enfin, on m’injecte de la morphine. Soulagée, je sombre dans un profond sommeil libérateur.
Je reste quatre interminables semaines à l’hôpital. Une éternité ! J’ai tellement envie de retrouver ma famille, mes amis, Joévin … Je n’arrête pas de demander à ce qu’on me laisse sortir.
Pourtant, quand je rentre à la maison, c’est le choc, la désillusion… La vie sur une seule jambe est si compliquée ! Je dois attendre avant d’être appareillée d’une prothèse et je ne sais plus rien faire seule, ma vie est devenue un enfer ! Sans le soutien inconditionnel de mes proches, je sombrerais.
J’ai 16 ans et je n’ai plus d’autonomie ! Le moindre déplacement est une contrainte, mais je
Dois vivre, je veux vivre ! 
Quand enfin, je peux marcher, je reprends le chemin de l’école. Vu les bons résultats que j’ai
obtenus avant mon accident, j’ai pu passer en rhéto.
Au fil des jours, je redeviens une jeune fille « presque comme les autres ». Certes, mon quotidien est rythmé de visites chez le kiné, chez le prothésiste, etc., mais je me sens à nouveau libre !
Durant mes études, je vis avec Maman. Pauvre maman qui a tant souffert pour moi, avec moi… Maman si courageuse qui a toujours été là, qui est toujours là. Depuis ce fameux mois de mars, elle, ma sœur, mon frère et moi sommes soudés comme les doigts de la main
Les jours passent, je m’accroche, malgré mes douleurs. Le médecin qui m’avait amputée m’avait dit qu’après ça, je serais tranquille, que je pourrais « gentiment » me reconstruire. C’était sans compter les multiples opérations et complications qui ont fait de ma vie un véritable parcours de combattante ! Je suis devenue une guerrière. Quand je souffre, je ne suis plus que colère. Combien de fois n’ai-je pas jeté ma prothèse par terre, je la hais, ce symbole de mon handicap ! Chaque nouveau problème de santé me mine le moral ! Je déteste toutes ces contraintes que la vie m’impose ! Je veux seulement être une adolescente et m’amuser, moi. Je ne demande rien d’autre !
Et puis, à un moment, je comprends que si j’arrête d’avancer, si je ne fais plus de projet, c’est comme si je laissais gagner ce handicap ! Et je vous l’ai dit, je suis une guerrière !
A partir de là, je me reprends en main ! J’entame mes études d’éducatrice spécialisée et, malgré un tas de soucis de santé, je réussis mes 3 années sans souci ! J’en suis fière ! Je passe mon dernier examen avec un moignon en sang, mais je ne veux plus que mon amputation dirige ma vie, je suis plus forte qu’elle ! Le lendemain de cet examen, j’entre à l’hôpital, j’y resterai un mois entier !
La vie continue. Je suis devenue autonome et j’ai acheté ma maison, j’y ai accueilli mes deux chiens que j’adore et qui me donnent envie de me lever tôt, de bouger ! Je n’ai pas cessé de vivre suite à mon accident : « Tombe sept fois, relève-toi huit fois » dit le proverbe !
Certains m’ont tourné le dos, c’est la vie… Mais j’ai surtout rencontré un tas de personnes qui m’entourent et sont toujours là pour moi ! Il y a 
, nous nous aimons, il est prêt à tout pour me rendre la vie belle. Et puis il y a ma famille, mes amis, ces fidèles qui m’aiment sans rien en avoir à faire de ce handicap. Récemment, j’ai retrouvé Luc, que j’avais croisé il y a quelques années chez notre prothésiste. Il a créé une association, Leg’s Go, qui aide les amputés, et aussi une école de course : « Je Cours Pour Leurs Jambes ». Je suis allée voir une de leur séance, j’y ai retrouvé Mathilde, le monde est tout petit ! En regardant courir ces extra-terrestres avec leur drôle de prothèse en carbone, je me suis dit « si eux peuvent le faire, moi aussi !». J’avais déjà essayé la course à pied après mon amputation, mais une chute m’avait incitée à capituler : j’avais trop peur de me blesser à nouveau. La première fois où j’ai gagné la piste d’athlétisme pour courir un tour de 400 m, j’étais terrorisée. Grâce à la main de Sébastien dans la mienne, grâce aux encouragements de cette fabuleuse équipe, grâce à la gentillesse de ceux qui donnent de leur temps pour nous aider à avancer plus vite, j’y suis arrivée, et j’y ai pris goût !
Toutes ces merveilleuses personnes sont devenues ma seconde famille ! Là-bas, j’ai rencontré un très chouette gars : 
 ! Il m’a réappris à faire du vélo, et ensemble, nous avons créé une équipe et participé aux 25 heures de vélo au profit de Leg’s Go, pour aider un autre jeune, Dylan, qui a perdu ses deux jambes dans un grave accident.
A mon tour d’aider ceux qui en ont besoin, ça me rend heureuse, et je suis désormais fière de ce que je suis ! Je ne me suis jamais sentie aussi bien, aussi épanouie, aussi « à ma place», et c’est en grande partie grâce à Leg’s Go !
Vis pour ce que demain a à t’offrir et non pour ce qu’hier t’a enlevé !

SONNY

Corée, année 1985. Je suis Sonny, j’ouvre les yeux sur le monde. Ma vie débute dans un orphelinat, entouré de nombreux frères et sœurs d’infortune. J’y ai vécu six mois. Une demi-année avant que mes chers parents viennent me sortir de là pour m’offrir une vie entre une maman et un papa. Ils ont fait de moi leur fils, un fils couleur soleil et aux yeux bridés qui est devenu l’aîné d’une famille de trois enfants.

J’ai grandi, heureux au sein de cette famille aimante, je me suis construit, je suis devenu un garçon sûr de lui.

Je suis né avec une vocation : la cuisine ! Dès mon enfance, j’ai appris, testé, amélioré les techniques de cuisine, j’adore ça, créer de jolies choses qui font briller les yeux et frissonner les papilles de ceux qui les dégustent. J’ai décidé d’en faire mon métier, quand vous avez la chance d’exercer votre passion au quotidien, vous n’avez pas réellement l’impression de travailler.

J’ai toujours eu un tas de copains, je suis ce qu’on appelle un boute-en-train. J’adore rire, et faire rire plus encore. J’aime la vie, j’aime ma vie, j’ai cette faculté d’apprécier chaque instant de l’existence, ne dit-on pas que le « bonheur est un festin de miettes » ? Moi, je pense que si !

A 25 ans, j’ai rencontré Sophie, qui est devenue ma compagne, et nous avons décidé de nous installer ensemble et avancer dans la vie main dans la main.

En janvier 2012, nous avons décidé, Sophie et moi, de nous octroyer quatre jours à Bruges. Ce n’est pas le bout de monde, Bruges. On nous avait dit que c’est une cité magique, la petite Venise, à deux pas de chez nous, ça allait être super !

Nos sacs chargés dans la voiture, prêts à démarrer, je me suis rendu compte que j’avais oublié d’aller chercher le costume que je devais porter pour la fête du personnel… zut et zut encore, nous allions devoir nous arrêter à la boutique en partant, et se garer à Spa, ça n’allait pas être évident.

Pour éviter de perdre trop de temps, j’ai décidé de faire l’aller-retour de la ville à la maison à moto, ça irait bien plus vite, pas de souci de parking et ça nous retarderait de trente minutes maximum. Ce détail réglé, je me mis en route pour rentrer.

Et à 300 m de la maison, sans raison apparente, ma moto s’est mise à trembler, à « guidonner » comme on dit dans le jargon motard. J’ai perdu l’équilibre et je me suis retrouvé à terre, tout seul, sans raison apparente.

En jurant, je me suis remis debout. Enfin… j’ai voulu me remettre debout, car je n’y suis pas arrivé, ma jambe gauche ne me répondait plus.

J’ai essayé de voir ce qui se passait et là, j’ai compris que ce n’était pas un petit bobo : ma jambe était quasiment en angle droit par rapport à mon corps, ça avait l’air costaud comme blessure.

J’ai pris une bonne respiration et j’ai appelé les secours. Puis j’ai appelé Sophie. Ensuite, j’ai appelé mon patron : « Chef, j’ai un pépin, je crois qu’il va falloir prévoir mon remplacement pour un petit moment ».

Puis j’ai attendu l’ambulance. Une éternité : vingt minutes environ pour qu’elle arrive sur place ! Sophie était à côté de moi et me rassurait : « Ça va aller, Sonny, quelques semaines de plâtre et ce ne sera plus qu’un mauvais souvenir ».

Aux urgences, j’ai bien vu que « ça » s’agitait autour de moi, j’ai compris que l’état de ma jambe était préoccupant. J’entendais des mots comme « plus vascularisé », « risque d’infection grave », « innervation » : ça semblait sérieux. Je me suis retrouvé aux soins intensifs et, en une semaine, deux fois au bloc opératoire. Un chirurgien m’a expliqué qu’il faisait tout pour sauver ma jambe, qui avait été sacrément abîmée dans la chute et qui n’était plus irriguée. C’était comme si une barrière empêchait mon sang d’y passer, ma jambe était tout bonnement en train de mourir.

Au cours de ce séjour, j’ai souvent entendu parler d’amputation, mais les médecins se sont acharnés et je suis sorti de l’hôpital sur mes deux jambes et équipé de béquilles dont je n’allais plus pouvoir me passer durant un long moment.

J’avais 27 ans, et l’impression d’en avoir 80. Marcher était si difficile, et faire du vélo, ce sport qui me permettait de décompresser et bien, n’en parlons même pas : ma jambe était comme figée, chaque déplacement était une torture.

Mais j’avais 27 ans, et je mettais toute l’énergie de ma jeunesse à me retaper, j’avais tant de projets. Pourtant, j’avais beau me forcer à avancer, mordre sur ma chique pour ne pas laisser cette insoutenable douleur m’abattre et m’empêcher de vivre, elle était plus forte que moi, elle gagnait, elle avait pris le contrôle : elle dirigeait ma vie.

Tout était compliqué. Quand vous vous retrouvez avec la sensation d’avoir pour jambe un poteau de bois, quand vous ne pouvez plus fermer les portes des toilettes du restaurant parce que vous ne savez plus plier le genou, quand vous devez renoncer au métier qui vous fait vibrer parce que rester debout est insupportable… La vie prend alors un goût amer, infect même.

Une première prothèse de genou, mal positionnée a empiré les choses. Et puis, une complication en entrainant une autre, j’ai été contaminé par un staphylocoque, et puis un autre… L’hôpital devenait ma seconde résidence. J’ai été opéré quinze fois ! QUINZE fois, vous lisez bien, un vrai calvaire !

Petit à petit et de plus en plus, j’ai commencé à considérer cette jambe qui me pourrissait la vie comme un membre indésirable. Je n’en voulais plus, de ce bout de moi qui détruisait mon existence en m’empêchant d’être un garçon de 30 ans tel que je voulais l’être : ambitieux, joyeux, vivant ! J’n’en voulais plus, de cette jambe. Cette idée est devenue une obsession.

J’avais pris ma décision, mais je me demandais comment ça serait de vivre à cloche-pied. Je cherchais les réponses et j’avais repéré sur les réseaux sociaux une association qui regroupait des personnes ayant vécu une amputation : Leg’s Go. J’ai vu une publication qui annonçait que certaines d’entre elles allaient participer à une course sur le circuit de Francorchamps. Voir des amputés et en plus les voir faire du sport… Ça me parlait, ça : j’allais pouvoir poser toutes les questions qui se bousculaient dans ma tête, j’allais pouvoir prendre ma décision en connaissance de cause. J’y suis allé et je les ai vus, ces hommes et ces femmes avec leur allure « particulière » : marcher avec une, ou même deux prothèses vous donne une dégaine spéciale, une démarche reconnaissable entre toutes. J’ai été impressionné, j’étais à quelques mètres d’eux, mes éternelles béquilles au bout de chaque main, et je n’ai pas osé les aborder, je n’ai fait que les regarder évoluer, courir, se dépasser, faire un pied de nez au destin : soit, ils avaient perdu une partie de leur corps, mais rien ne semblait leur être impossible !

Ma décision était prise. J’ai vu mon médecin, je lui ai à nouveau décrit ma souffrance, ces symptômes que je ne pouvais plus encaisser, cette vie dont je ne voulais plus. Je lui ai dit : « Il faut me la couper, cette jambe ». Il m’a regardé, il m’a souri, il me comprenait, il était d’accord.

Tout s’est très vite enchaîné, l’opération programmée, ma famille, mes amis prévenus, quatre ans et demi de souffrance, ça suffisait, allez, qu’on en finisse !

Quand j’ai ouvert les yeux en salle de réveil, j’ai regardé le bout du lit, et j’ai vu ce vide, cette place qui serait dorénavant inoccupée, ça y était, j’étais unijambiste…

Je sais que pour la plupart d’entre vous, cela peut paraître difficile à croire, mais j’ai été si heureux de ne plus avoir à traîner ce fardeau que j’ai eu l’impression de recommencer à vivre, de respirer plus sereinement.

J’allais à nouveau pouvoir faire des projets. Vous savez, j’étais plus handicapé avec une jambe inutile que sans ! A ma sortie de l’hôpital, je suis très vite remonté sur mon vélo, j’ai recommencé à sortir avec mes amis de toujours, ceux qui ne m’ont jamais laissé tomber, ceux qui, comme mes parents, ont toujours été à mes côtés. Pour eux, rien n’a changé, je suis toujours le même Sonny, celui qui rit, celui qui fait rire, celui qui vit à fond chaque seconde… Sans leur soutien, sans celui de ma mère, de mon père, de Sophie et de ses parents, je sais que tout aurait été bien plus dur encore !

Ce qui a changé dans ma vie ? Le regard de ceux que je croise… Je vois dans leurs yeux un truc particulier, une étincelle que je ne percevais pas avant : c’est de l’admiration. C’est fou, ces gens m’admirent de continuer à sourire alors que j’ai une jambe en moins… S’ils savaient. S’ils savaient à quel point je suis heureux, à quel point chaque matin, je m’éveille en me disant : alors, qu’est-ce que je vais vivre de beau aujourd’hui…

Ah oui, vous savez, l’association dont je vous ai parlé un peu plus tôt ? Leg’s Go ! Et bien figurez-vous qu’après mon amputation, j’ai contacté Luc qui m’a invité à l’un de leurs entraînements ? J’ai osé y aller, je me suis intégré à leur groupe ! Peut-être que cela a été plus facile parce que je suis devenu « l’un des leurs ». J’y suis allé et ils m’ont accueilli : « Bienvenue Sonny, nous sommes heureux de te connaître ». Et là, je viens de faire un truc de fou avec eux : ils m’ont prêté une lame en carbone, une prothèse de sport et… j’ai couru. Entouré, encouragé par des coureurs de Leg’s Go, j’ai accompli l’impensable : j’ai parcouru les 20 km de Bruxelles !

Grâce à cette expérience, j’ai compris que la course à pied, ce ne serait pas pour moi, je préfère définitivement le vélo. Alors, perché sur ma bécane, je serai derrière ces drôle de coureurs sur une patte, je les encouragerai, je les admirerai parce qu’ensemble, on est plus forts !

Je suis Sonny, je vis sur une jambe, je relève des défis, je suis sportif, j’avance et je suis heureux !

« Vis pour ce que demain a à t’offrir et non pour ce qu’hier t’a enlevé ».

MAXIME

Iron Max

Je suis Maxime. J’ai 17 ans, des rêves plein la tête et une histoire à vous raconter : mon histoire.
Je suis né une première fois en 2002, à la veille de la Saint-Valentin. « Une première fois », qu’est-ce que cela veut dire, pensez-vous sans doute. Soyez patient, vous comprendrez bientôt pourquoi je peux dire que 15 ans après avoir vu le jour, je suis né une seconde fois.
Nous sommes en juin 2017. Je suis super content car j’ai bien réussi mes examens de fin d’année. Humanités sportives, c’est le choix d’études que j’ai fait. Je peux dire sans exagérer que le sport, c’est ma vie. A l’Athénée Agri-Saint Georges de Huy, c’est 9 heures de sport par semaine : rugby, basket, volley, gymnastique, natation…. Et maintenant, je commence à m’entraîner pour les courses d’obstacles. J’adore ça ! Ces études me permettront, je l’espère, d’avoir la forme physique requise pour faire une carrière dans l’armée, comme mon père. Y parvenir serait réaliser un rêve !
Là, les vacances se profilent et ce n’est pas parce que les cours sont terminés que je vais rester sans bouger, que du contraire. A moi les heures de « défonce sportive » !
Ce qui m’ennuie, c’est ce qui se passe avec ma jambe gauche. La plier ou la mettre en extension est impossible… Je le dis à mes parents. Maman me dit que ça vient sûrement de tous les efforts que j’ai fournis pour passer mes derniers examens. Dans quelques jours il n’y paraitra plus. 
Mais trois jours plus tard, ça ne va vraiment pas bien du tout, ma jambe est toujours aussi mal en point. Nous décidons donc de consulter notre médecin traitant. Il est plutôt rassurant : ça doit être musculaire. Cependant, pour être sûr que tout est vraiment ok, il prescrit une échographie.
Comme nous sommes à la veille des vacances d’été, mes parents décident de consulter un médecin sportif qu’ils connaissent et qui possède tout le matériel nécessaire pour passer des examens approfondis. 
Pendant que le médecin m’examine, je surprends sur son visage des mimiques qui me laissent à penser que ce qu’il découvre à l’écho l’inquiète. Et moi, je n’arrête pas de me répéter « pourvu que ça ne soit pas grave, pourvu que ça ne soit pas grave ». Quand l’examen est terminé et que nous retrouvons mes parents, il leur annonce qu’il a vu quelque chose au niveau de l’os. Selon lui, il est très important de vérifier ce que c’est, sans tarder. Dans les trois jours, nous avons rendez-vous pour un IRM. 
C’est à midi que je me retrouve dans cette machine qui va livrer son verdict. Un résultat qui va changer le cours de ma vie. Maman appelle le médecin en soirée. Il n’y va pas par quatre chemins « C’est très grave, Madame, Maxime souffre d’une tumeur maligne. Il vous faut sans tarder contacter une clinique universitaire et prendre un rendez-vous chez un chirurgien/oncologue ». Transformée en statue de pierre, sidérée par ce qu’elle vient d’entendre, Maman se fait confirmer la nouvelle « C’est un cancer ? ». « Oui, Madame, c’est un cancer et c’est très grave ».
Papa, après que Maman lui ait annoncé cette terrible nouvelle, refuse de s’affoler tant que des examens complémentaires ne sont pas réalisés. Ma sœur, elle, ne veut pas y croire. Et moi, quand Maman m’explique ce que le Docteur vient de lui dire, je me dis que j’ai quinze ans… et que je vais mourir ! Une tumeur maligne… le Malin, c’est le diable non ? Je dois me battre contre le Diable !
Le 6 juillet, nous nous retrouvons chez un chirurgien oncologue qui nous explique qu’il sera nécessaire que je voie un spécialiste de l’orthopédie pédiatrique. Mais nous sommes en période de congé et le premier rendez-vous qu’on peut avoir, c’est dans 12 jours. Je demande à ce médecin si ce n’est pas trop long, 12 jours. Il me répond « le plus tôt sera le mieux, 12 jours, ça ira. Mais si on restait 6 mois sans rien faire, tu ne serais plus là pour le raconter ». Je vous laisse imaginer ce qui peut se passer dans ma tête et dans celle de mes parents lorsque nous entendons cela !
Nous attendons donc notre prochain rendez-vous dans un état second. On nous a prévenus : le moindre accident, la moindre chute pourrait avoir des conséquences dramatiques car le cancer pourrait alors se propager plus rapidement. Nous essayons de nous changer les idées, mais les mots prononcés par le corps médical ne quittent aucun d’entre nous. Heureusement, la famille nous soutient, nous ne nous sentons pas seuls ! 
De spécialistes en spécialistes, nous arrivons enfin chez celle qui me sauvera la vie, le Docteur Allington à la Citadelle de Liège. 
A partir de cette rencontre, à la mi-juillet, tout s’enchaine. Je suis hospitalisé et les examens se succèdent. Pas tous très agréables, mais je sais qu’il faut en passer par là, je « mords sur ma chique », je veux qu’on m’opère et m’enlève cette tumeur qui, en 3 semaines, a rendu ma jambe difforme et qui m’entraîne vers la mort.
Le diagnostic précis tombe enfin : ostéosarcome de 19 cm et métastase de 4 cm.
Le Docteur Allington et son collègue oncologue le Docteur Forget mettent le traitement en place : de la chimio pour détruire un maximum de cellules cancéreuses. Ensuite, ce sera l’opération, et puis de nouvelles séances de chimiothérapie pour terminer le travail.
Après avoir analysé ma pathologie et cherché la meilleure solution pour me permettre de vivre au mieux, le Docteur Allington parle d’une opération rare : « une plastie de retournement ou méthode Van ness». Ni mes parents, ni moi n’avons la moindre idée de ce que ces mots barbares peuvent signifier. Le Docteur Allington nous l’explique et nous montre des illustrations du résultat. En fait, on va se servir de l’articulation de ma cheville pour remplacer celle du genou. On va prendre tout le bas de ma jambe, mon tibia et mon pied et le greffer, en le retournant à 180 degrés, à l’os de ma cuisse. Ça semble sortir tout droit d’un film de science-fiction, mais c’est bien réel. Elle m’explique que la contrainte la plus importante est l’acceptation de l’aspect de la jambe après l’opération, mais que c’est la solution la plus adaptée dans mon cas pour me permettre de vivre au mieux et surtout, de refaire du sport. La doctoresse et son collègue, le Docteur Rondiat qui m’opéreront en duo, me donnent la possibilité de rencontrer un homme de 40 ans qui a subi ce type d’opération il y a 28 ans. Lorsque nous le voyons, assis dans le couloir de l’hôpital, et qu’il se lève pour venir à notre rencontre, nous sommes étonnés que son handicap soit si peu visible. Il nous raconte que cette opération lui a permis de vivre pratiquement normalement : il peut même faire du vélo. Ma décision est prise : tout plutôt que d’être privé de sport !
Je suis les conseils de mes médecins à la lettre : « Mange, bois et muscle-toi » sont leurs consignes. En quelques mois, je prends 15 kilos, je me force à m’alimenter, même sans faim, car je veux mettre toutes les chances de mon côté pour m’en sortir ! 
L’opération, programmée après mes lourdes séances de chimio, a lieu le 9 novembre. Je suis confiant, heureux qu’on « entre dans le vif du sujet », souriant même sur le brancard qui m’emmène au bloc. Allez, qu’on fasse ce qu’il y a à faire mais que je puisse à nouveau bouger, ça fait 4 mois que je passe toutes mes semaines à l’hôpital à vivre entre chimio et soins très douloureux pour soigner les effets secondaires et les week-ends à la maison à ne pouvoir pratiquement rien faire… j’ai 15 ans et demi et je ne veux pas de cette vie « médicalisée ». 
L’opération dure 10h30. Lorsque je me réveille aux soins intensifs, je constate tout de suite que j’arrive à bouger mes orteils ! Ok, ils ne sont plus à la même place, mais ils bougent ! Le docteur Allington, qui surveille de près la cicatrisation de la greffe est enchantée : les centaines d’agrafes font bien leur boulot, tout se passe bien. J’apprends à marcher avec cette nouvelle jambe, ça ne me semble pas trop difficile. Par contre, j’ai peur d’effrayer les gens que je croise. Le Docteur Allington me dit qu’en acceptant ma différence, j’accepterai les regards étonnés. Le vrai boulot de revalidation ne peut commencer qu’en septembre 2018, presqu’un an après l’opération, car il a fallu tout ce temps pour que mes os soient soudés, le processus de guérison ayant été retardé par tous les traitements de chimio.
Enfin, après des mois et des mois de traitement, c’est la libération ! Nous sommes le 19 mai 2018 et je peux rentrer à la maison. Hormis les aphtes qui envahissent ma bouche et qui m’obligent à me rendre chaque jour à l’hôpital pour être soignées, tout va bien. Le personnel médical, tout comme mes parents, étaient stupéfaits en constatant que je ne me plaignais jamais… mais cela aurait-il servi à quelque chose ? 
Seulement 15 jours après avoir réintégré notre domicile, retour à l’hôpital pour une encéphalite laissant penser à mes proches que je fais un AVC. Mais ouf, je récupère assez vite et peux rentrer à la maison et recommencer à vivre normalement.
Cela fait donc presqu’un an que je vis avec une jambe qui ne ressemble à aucune autre, les personnes ayant subi ce type d’opération ne sont pas très nombreuses. C’est ce qui m’ennuie le plus, ne pas pouvoir partager mon expérience avec d’autres qui la vivraient, eux aussi.
Aujourd’hui, je peux dire que je vais bien. J’ai repris mes études dans le même établissement, où je me sens soutenu, tant pas les professeurs que par les élèves. Je n’ai pas voulu perdre trop de temps et, même hospitalisé et en chimiothérapie, j’ai continué à suivre des cours grâce aux professeurs de l’école Leopold dont la mission est de permettre aux enfants gravement malades de continuer à étudier. J’ai bien sûr du changer d’orientation et, dorénavant, c’est en option agro-alimentaire que j’étudie. Je dois rattraper un retard dans certaines matières, mais je travaille comme un fou car je refuse de perdre mon temps. Je sais à présent à quel point il est précieux. Je surprends parfois des regards interpellés par ma drôle de jambe, ça ne me gêne pas. Moi aussi je l’aurais été, avant tout ça ! 
Vous pourriez être étonné, mais j’aime ma cicatrice. Grâce à elle, il est visible que je ne suis pas né « comme ça », elle est le symbole du long combat mené contre la maladie et ses conséquences ! Avec les médecins, les infirmières, avec les différents traitements pour armes, nous avons formé une équipe gagnante, nous avons vaincu le Malin !
Mon souhait de m’engager dans l’armée semble compromis, quoique… sait-on jamais ! Et si je ne peux pas le réaliser, je trouverai autre chose : aider les autres est devenu une option, pour moi, le social pourrait être ma future orientation. Avant mon opération, j’étais timide, j’avais peu d’amis… Ce qui m’est arrivé m’a ouvert aux autres, je ne suis plus le même, je suis moi en plus « sociable » ! 
Quand j’ai rencontré les membres de l’association Leg’s Go, j’ai été conforté dans l’idée que, quand on le veut, rien n’est impossible. J’ai décidé de tout faire pour parvenir à pratiquer le triathlon : nager, rouler, courir… le bonheur !
J’ai rencontré 
, un généreux sportif de haut vol qui a proposé de créer le projet « IronMax » : il va réaliser l’épreuve extrême de l’Ironman de Vichy en se faisant parrainer pour m’aider à acquérir l’onéreux matériel qui me permettra de réaliser ce rêve ! 
Je m’appelle Maxime, j’ai 17 ans, je fais du sport, je vis à fond, et je sais maintenant que tout est possible.
Je n’ai aucun regret, à quoi cela servirait-il ? 
« Vis pour ce que demain a à t’offrir, et non pour ce que hier t’a enlevé » !

Je m’appelle Fabienne, j’ai 61 ans et je n’aurais jamais imaginé qu’un jour, je serai interviewée et que mon histoire serait publiée… Mais voilà, comme dirait l’autre, la vie n’est pas un long fleuve tranquille. Elle est parsemée de toutes sortes de surprises, certaines merveilleuses, d’autres dramatiques.

Je me présente en quelques lignes. Je suis la maman heureuse et fière de deux jeunes adultes, Corentin et Julie. Si vous leur demandiez de parler de moi, je suis convaincue qu’ils parleraient, entre autres, de mon instinct maternel hyper développé. Oui, je le confesse, je suis une maman poule et même si mes poussins ont depuis longtemps quitté le nid, je continue à veiller sur eux comme quand ils étaient petits…

J’ai travaillé durant 20 ans dans une grande surface, un travail qui me convenait, et qui payait les factures !

Malheureusement, j’ai vécu trois braquages extrêmement traumatisants… J’ai été menacée d’une arme et je vous avoue que j’ai cru que ma dernière heure était venue. J’ai eu énormément de mal à me remettre de ces événements qui m’avaient comme ouvert les yeux sur la dangerosité de l’être humain. Je me suis beaucoup repliée sur moi-même, j’ai commencé à me sentir de plus en plus triste, vide, la tête emplie de pensées négatives. Je souffrais même physiquement, les gestes quotidiens devenaient de vraies épreuves… Des soucis familiaux ont achevé de me “mettre à terre”. D’hospitalisations en traitements de toute sorte, j’ai fini par être reconnue comme inapte au travail. J’avais l’impression que tout s’effondrait.

La mythologie romaine a légué au monde une célèbre expression : la roue tourne. Lorsque j’étais au plus mal, je ne pouvais croire que les choses s’amélioreraient un jour. Et pourtant, le temps a passé, déposant çà et là de jolis présents. Doucement, j’ai remonté la pente et repris goût à la vie.

Un de ces cadeaux de la vie est survenu fin 2019. Alors que je ne croyais plus à l’amour, un homme est parvenu à reconquérir mon cœur meurtri. Cette union avec Philippe m’a apporté la sécurité et le bonheur après lesquels j’avais couru pendant de longues années. Il s’entendait bien avec mes enfants, nous vivions dans une maison agréable, nous avions des loisirs que nous pratiquions à deux. Bref, tout allait bien.

Jusqu’à ce jour de septembre 2020. Mon fils Corentin et son épouse passaient quelques jours de vacances à l’étranger, profitant d’une trêve dans les mesures de confinement dues à la pandémie. Lors de ce séjour, ma belle-fille reçut un appel de ses collègues de travail qui lui suggéraient de mettre sa voiture à l’abri, car des travaux importants allaient débuter incessamment sous peu dans la rue où elle vivait avec mon fils.

Corentin m’a alors contactée pour me demander si Philippe et moi serions d’accord d’aller recouvrir ladite voiture d’une bâche de protection. C’est sans hésiter une seule seconde que nous avons accepté cette mission. Nous avions ce qu’il fallait à la maison et nous sommes rendus à leur domicile. Manque de chance, notre bâche était trop petite, nous sommes donc allés en acheter une qui convenait dans un magasin du coin. À ce moment de votre lecture, peut-être vous demandez-vous pourquoi je vous raconte de tels détails… Si je le fais, c’est pour appuyer la thèse qu’il existe bien un “mauvais moment, mauvais endroit”. À quelques secondes près, le drame qui allait survenir n’aurait pas eu lieu…

Nous avons commencé à recouvrir la voiture, moi face au capot et Philippe à l’arrière. À un moment donné, nous avons perçu des bruits qui semblaient provenir d’un véhicule qui dérapait. J’ai alors vu à quelques dizaines de mètres de nous une voiture grise qui zigzaguait. Il était évident que le conducteur n’avait pas perdu le contrôle de son véhicule, mais qu’il s’amusait à faire des “freins à main”. Je me souviens avoir pensé “ Mais quel imbécile, en plein jour et en pleine rue”. Et, sans avoir le temps de dire “ouf”, j’ai vu ce bolide me foncer droit dessus…

Lorsque j’ai repris mes esprits, j’étais allongée sur le sol. Phil était penché vers moi. Un homme me maintenait la tête, c’était un ancien pompier qui savait que je ne devais surtout pas bouger. Son épouse me caressait le bras, un geste quasi maternel qui me faisait du bien. À un moment donné, j’ai tout de même pu me redresser et j’ai aperçu mon genou droit, ou du moins ce qu’il en restait… Des morceaux d’os, de la chair, du sang, du tissu… J’ai vu que j’étais bien “amochée”. Et pourtant, un élan de vie me traversait et je me souviens m’être dit “Fabienne, tu es vivante, le reste, on s’en fout !”. Les secours sont rapidement arrivés et le médecin m’a tout de suite plongée dans le coma pour pouvoir me manipuler sans que je sois déchirée par la douleur.

Le conducteur de la voiture qui m’avait percutée avait rapidement manœuvré pour repartir à toute vitesse. J’ai appris plus tard qu’il avait abandonné son véhicule à quelques dizaines de mètres de là et qu’il était rentré chez lui à pied. Il était sous l’emprise du cannabis. Quinze ans… c’était son âge… Quinze ans et, évidemment, pas de permis de conduire ni d’assurance. De plus, il avait déjà connu des déboires avec la justice deux ans auparavant. Quel pédigrée pour ce jeune homme qui, en toute logique, n’aurait dû conduire que les Formule 1 d’un jeu vidéo.

Heureusement, son frère aîné et sa maman l’ont convaincu de se rendre à la police. C’est ainsi que j’ai appris qui était celui qui avait chamboulé le reste de ma vie.

Bien plus tard, j’ai eu l’occasion de le rencontrer. En présence d’un médiateur, ma fille et moi avons pu nous exprimer face à lui et sa maman. Du bout des lèvres, il m’a demandé pardon. Ma fille Julie a pu lui expliquer la gravité des conséquences de son irresponsabilité. Et moi, en le voyant aussi contrit, j’ai senti mon cœur flancher. Je lui ai dit qu’il me ferait du bien s’il reprenait sa vie en main, s’il cessait de consommer des substances qui le rendait dangereux, tant pour lui que pour les autres. Je l’ai incité à reprendre ses études, à se jeter corps et âmes dans tout ce qui pourrait lui procurer une vie saine et hors de toute délinquance. L’éducatrice qui l’accompagnait était très touchée par mon discours, elle m’a dit qu’elle n’aurait sans doute pas eu la force de faire la même chose… Je lui ai répondu que quand on est une maman, on a un cœur qui saigne en voyant un jeune qui se détruit. Malheureusement, j’ai appris par la suite qu’il n’avait pas suivi mes conseils, qu’il n’avait pas exécuté les injonctions de la juge qui s’était occupée de mon affaire. Il a purgé une peine de quelques mois dans une institution dédiée aux jeunes délinquants. Je n’ai pas de pouvoir sur sa vie. La seule chose que je peux faire est de me préserver de l’immense colère qui m’étouffe lorsque je pense que ce qui m’est arrivé ne lui aura même pas servi de leçon.

Lorsque j’ai ouvert les yeux pour la première fois après le drame, je me trouvais aux soins intensifs. Je n’ai que peu de souvenirs de ces quelques jours dans cette unité, hormis un moment extrêmement poignant où j’ai aperçu mon fils sanglotant à mes côtés, me demandant pardon. Je me suis empressée de le rassurer et de lui dire qu’il n’était aucune responsable de ce qui était arrivé. Le destin a plus d’un tour dans son sac pour que les choses se passent tel qu’il l’est écrit… Ça s’appelle la fatalité.

J’ai reçu la visite d’une charmante doctoresse qui s’est présentée comme la chirurgienne qui m’avait prise en charge à mon arrivée à l’hôpital. Avec beaucoup de tact, elle m’a annoncé qu’elle n’avait pu sauver ma jambe et qu’elle avait dû procéder à une amputation au-dessus du genou. Elle m’a également appris que j’avais été lourdement blessée à la tête, j’avais littéralement été scalpée. De cette blessure, il me reste une diminution de la couche osseuse du crâne et quelques cicatrices au visage. Plusieurs de mes vertèbres avaient par ailleurs été brisées par le choc. Elle m’a prévenue que l’arthrose allait trouver là un terrain favorable…

Curieusement, j’ai accueilli ces nouvelles sans affolement. Je me sentais heureuse d’être en vie. De plus, je ne souffrais pas, tout était mis en place pour m’éviter toute douleur.

J’ai conservé cet état d’esprit positif encore un bon bout de temps. Après environ deux semaines à l’hôpital, j’ai été transférée dans un centre de revalidation où, par chance, travaillait une de mes amies qui m’a accueillie et a été aux petits soins durant les trois mois de ma rééducation. Cet accident m’a offert quelques cadeaux cachés, notamment en recréant un lien avec ma sœur. La vie et ses contraintes nous avaient éloignées, mais lorsqu’elle a appris ce qui m’était arrivé, elle a accouru et nous avons rapidement renoué une formidable relation pleine d’amour.

Lorsqu’on m’a annoncé que j’étais suffisamment autonome pour rentrer chez moi, j’étais aux anges. J’avais hâte de retrouver mon chez-moi, Philippe, mon petit chien Hatchi et une vie “normale”. En même temps, j’avais un peu peur de cette nouvelle vie qui commençait, cette vie sur une seule jambe !

Les premiers temps qui ont suivi mon retour à la maison ont été presque idylliques. Philippe aux petits soins, mes enfants très présents, des visites amicales…

Et puis… et puis c’est devenu plus compliqué. J’ai commencé à constater les difficultés engendrées par le handicap. Avant, j’adorais balader mon chien et là, j’étais terrorisée à l’idée de tomber. Et les grosses douleurs au dos annoncées par la chirurgienne rendaient chaque tâche ménagère éprouvante, tout demandait des efforts, j’étais épuisée.

J’ai commencé à me sentir de plus en plus triste, pessimiste, mes vieux démons me rattrapaient. Je luttais pourtant, je voulais voir ce qui allait bien, je tentais de m’émerveiller des belles choses et de lâcher prise sur les difficultés… Mais je n’y arrivais pas.

Il y a un an, mon fils Corentin a exaucé un de mes vœux les plus chers : il a fait de moi une Mamy. Avec ma petite-fille, qui n’aura jamais connu sa grand-mère que sur une jambe, je me sens merveilleusement bien. Nous avons une complicité naturelle et tellement apaisante. Lorsque mon moral flanche, je regarde une de ses photos et instantanément un sourire naît sur mes lèvres.

Doucement, je remonte la pente. J’ai croisé d’autres personnes qui ont vécu le traumatisme de l’amputation. Luc, Franco, et bien d’autres. Parfois, je me dis que je n’aurai jamais leur force, leur détermination. Et rapidement, je me rappelle que leur handicap date de nombreuses années, et qu’en lisant leur histoire, j’ai appris qu’eux aussi ont traversé des périodes difficiles, ça me donne de l’espoir.

Il parait que Winston Churchill a dit “Si vous traversez l’enfer, continuez d’avancer”. Je poursuis donc mon bonhomme de chemin et je sais qu’un jour, je retrouverai la sérénité et que je profiterai à nouveau de tout ce que la vie a de beau à m’offrir.

Je suis tellement contente d’avoir été sollicitée par Leg’s Go pour participer aux 20 km de Bruxelles à leurs couleurs. Je serai confortablement installée dans une chaise adaptée, on appelle ça un hippocampe. Plusieurs personnes parcourront ces 20.000 mètres en me poussant. J’ai hâte d’y être, je suis fière de pouvoir m’intégrer à une équipe aussi bienveillante, ça me fait du bien, cet événement si positif !

En m’interviewant pour écrire mon histoire, Geneviève m’a demandé quel est mon vœu le plus cher. J’ai réfléchi quelques instants et je lui ai répondu “J’aimerais simplement retrouver la sérénité, retrouver de l’autonomie, et savourer la vie”.

La route est peut-être encore longue, mais le plus important, c’est que je sais que je suis sur le bon chemin !

La vie, ce n’est pas d’attendre que les orages passent, c’est d’apprendre comment danser sous la pluie. Sénèque

Texte : Geneviève Foret